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La Foi corse : lumière d’une île, héritage d’un peuple
27 novembre 2025
Avec La Foi corse. Essai sur la religiosité populaire, publié chez Domuni-Press, Michel Garnier signe un ouvrage profondément enraciné, porté par le désir de comprendre et de faire comprendre l’âme spirituelle d’une île où la foi n’est ni une survivance ni un folklore, mais un souffle. Dès les premières pages, l’exergue du cardinal François Bustillo donne à l’ensemble un cadre d’une grande clarté intérieure. Il y évoque la venue mémorable du pape François à Ajaccio et « le souffle de l’esprit du 15 décembre 2024 », appelé à continuer d’embraser les cœurs corses et, par-delà les mers, ceux du monde entier. Cette entrée en matière place le lecteur sur un chemin où la spiritualité insulaire se déploie comme une mémoire vivante et un ferment d’avenir.
Un peuple habité par un élan spirituel
L’intuition fondatrice du livre s’enracine dans une affirmation de l’abbé François-Joseph Casta, citée en ouverture : « Tout Corse porte en lui, comme naturellement, un sentiment religieux et un sens chrétien qu’il s’agit aujourd’hui de rendre plus lucides et plus fervents. » Ce constat, que Michel Garnier reprend à son compte, sert de fil conducteur à son analyse. La religiosité corse n’est pas une accumulation de pratiques mais l’expression d’un mouvement intérieur, d’un héritage transmis, d’un lien intime entre foi, culture et territoire.
Garnier montre que cette disposition spirituelle est façonnée par « une foi intérieure vivante, où continuent d’interagir les facteurs géographiques, la culture régionale et les relations profondes qui fédèrent tous les acteurs de la société corse dans une même communion de destin fortement ancrée dans le catholicisme ». La dimension collective est centrale : la foi rassemble, donne un langage commun, relie même ceux qui ne se reconnaissent pas forcément comme croyants.
La Semaine Sainte : le sommet d’une religiosité incarnée
Parmi les grandes manifestations liturgiques évoquées par l’auteur, la Semaine Sainte tient une place singulière. L’évêque Mgr Brouwer, cité par Garnier, résume avec force ce qui s’y joue : la religiosité populaire est « un jaillissement du cœur humain qui crie sa soif d’être aimé et sa soif d’être sauvé. À ce moment-là, c’est Jésus qui compte et lui seul. Et le reste n’a pas d’importance. » Ces mots disent bien l’intensité de participation qui marque la spiritualité insulaire.
Le Vendredi Saint, le Catenacciu de Sartène en constitue le sommet dramatique. Pour l’auteur, « le mystère de la Passion est le sommet de la religiosité populaire corse ». La procession nocturne du pénitent, portant croix et chaînes, est décrite comme « un véritable catéchisme vivant », où la communauté entière entre en communion avec le chemin du Christ. La participation du cardinal Bustillo à la procession de 2024, pour la première fois retransmise en direct à la télévision, a souligné la force symbolique de cet événement, qui unit geste, mémoire et foi dans un même mouvement.
Marie, cœur silencieux de l’identité corse
La piété mariale, constitutive de la spiritualité insulaire, occupe un chapitre essentiel du livre. Garnier montre comment le Dio vi Salvi Regina, devenu au fil du temps hymne identitaire, est aujourd’hui « un marqueur très fort de l’identité corse qui se fond et se confond avec la dévotion à la Vierge Marie ». Chanté à la fin des liturgies comme lors de rassemblements civils, il exprime un attachement où se mêlent confiance, fierté et mémoire.
Les pèlerinages du 8 septembre, qu’ils mènent à Pancheraccia, Lavasina ou Casamaccioli, témoignent eux aussi de cette relation à Marie, perçue comme une présence maternelle et protectrice. Chaque lieu déploie une histoire, un visage, une manière de dire gratitude et espérance. Garnier restitue cette dimension avec chaleur, sans romancer, mais en laissant la beauté propre de ces traditions prendre la parole.
La foi qui habite les maisons
L’un des apports les plus touchants de l’ouvrage réside dans sa capacité à entrer dans l’intimité de la transmission de la foi. L’auteur rappelle, à la suite du pape François, que « c’est dans le silence de la vie familiale que la plupart d’entre nous ont appris à prier, à aimer, à vivre la foi ». La religiosité corse se déploie ainsi dans les gestes simples : une croix au mur, une prière du soir, un refrain qui revient lors des veillées. Ces pratiques ne relèvent pas du folklore, mais d’une fidélité profonde à ce qui est reçu dans l’enfance et transmis dans la douceur des relations familiales.
La langue corse elle-même porte cette empreinte. Proverbes, tournures, expressions du quotidien contiennent une sagesse spirituelle où Dieu, Marie et les saints occupent une place familière. Comme le montre Garnier, cette dimension linguistique n’est pas secondaire : elle dit la manière dont la foi s’inscrit dans le réel, dans les habitudes, dans la manière de regarder la vie.
Une tradition tournée vers l’avenir
Loin de considérer la religiosité populaire comme un simple héritage, l’auteur montre combien elle ouvre des perspectives pour aujourd’hui. Face aux fragilités contemporaines (déclin démographique, recomposition sociale, éloignement de la pratique), la religiosité populaire apparaît comme un appui, un lieu de renaissance. Elle permet de continuer à faire Église ensemble, parfois en dehors des cadres institutionnels, mais toujours dans une fidélité au Christ.
Garnier cite à ce titre le Directoire sur la piété populaire, qui affirme que celle-ci constitue « un instrument providentiel pour la sauvegarde de la foi », permettant au peuple chrétien d’avancer vers « une foi plus mûre et plus profonde ». En écho, la venue du pape François en 2024 et les paroles qu’il adressa à la Corse prennent tout leur sens : l’île, loin d’être périphérique, apparaît comme un foyer où se réinvente une manière de croire.
Un livre qui éclaire, rassemble et transmet
En refermant La Foi corse, le lecteur comprend que l’essai de Michel Garnier dépasse la simple analyse. C’est un texte habité, porté par un regard attentif, capable d’unir érudition et sensibilité. Il révèle une religiosité qui respire avec l’île, une foi qui se donne à voir autant qu’à entendre, une spiritualité intime qui irrigue autant les grandes célébrations que la vie ordinaire.
La Corse apparaît, dans ces pages, comme une terre de lumière spirituelle : un lieu où la foi, loin de s’être érodée, demeure un repère, une force et une promesse. Dans un monde souvent désorienté, Garnier rappelle combien les traditions vivantes peuvent devenir des ressources pour l’avenir et offrir un langage commun à ceux qui cherchent des chemins de sens.
