Quand Jésus parlait à Israël. Un rabbin lit les Évangiles.

Auteur: Patrice Sabater
Philippe Haddad, Quand Jésus parlait à Israël. Un rabbin parle à Israël. Editions DERVY/Guy Trédaniel Groupe, Paris 2024. (244 pages) – 20 €.
Le Rabbin Philippe Haddad vient de sortir un nouvel ouvrage traitant de la parole Jésus de Nazareth s’adressant au Peuple d’Israël. La dédicace du livre n’est pas commune puisqu’elle commence par une réplique de Louis de Funès dans le film « Rabbi Jacob » (!), mais l’aspect humoristique n’enlève rien à sa profondeur.
« Jésus ! Un nom qui résonne toujours aux quatre coins de la terre (…) en seulement trois ans d’activités, entre sa campagne galiléenne et Jérusalem, capitale de la Judée, ce fils de charpentier, suffisamment charismatique pour ses disciples, a engendré une extraordinaire révolution religieuse, d’abord dans l’Empire romain, puis dans les cinq continents (…) » (p 13)
Le dernier livre du Rabbin libéral de la Synagogue Copernic (Paris), « Quand Jésus parle à Israël » est le fruit d’un ensemble de textes, d’études et de rencontres en France. Diplômé du Séminaire israélite de France en 1982, et ancien rabbin consistorial. Actuellement, il fait partie de « Judaïsme en mouvement » (JEM). Il collabore depuis de nombreuses années avec le Service des relations avec le Judaïsme du diocèse de Corbeil/Évry pour aider à la reconnaissance du Judaïsme comme réalité vivante, et de la judéité de Jésus comme constitutive de l’annonce du Christ. Il est aussi membre de l’Association judéo-chrétienne (AJCF).
L’Amitié Judéo-Chrétienne de France (Association laïque loi 1901) fondée en 1948 par deux juifs, l’historien Jules Isaac et Edmond Fleg. Après la Shoah, il s’agissait de lutter contre l’antisémitisme et l’antijudaïsme chrétien en organisant des rencontres dans l’amitié et la connaissance entre juifs et chrétiens par des conférences, des visites d’églises, de temples et synagogues, des voyages, des repas partagés... En 2020, il reçoit le Prix de l’AJCF remis en juillet 2021 par Mgr d’Ornellas. Ce Prix vise à saluer le travail d’une personnalité juive ou chrétienne œuvrant pour le dialogue judéo-chrétien. Lors de cette rencontre il proposa une réflexion autour du thème : « Juif et chrétien, les deux visages de l’Homme biblique ».
L’intention de l’auteur est claire dès les premières pages de son ouvrage : « Ce livre portera sur lui un témoignage, notre témoignage, le témoignage d’un enfant d’Israël, qui n’est donc ni chrétien ni Juif pour Jésus, qui ne partage pas les axiomes et les dogmes de l’Église, et qui pourtant, à force de lire, de méditer, d’étudier, de commenter et d’enseigner les Évangiles en divers lieux, a fini par se trouver à proximité d’un certain juif Jésus, ou devrions-nous dire Yechouâ pour être plus authentique dans ce rapprochement ». (pp 13-14)
Son livre est donc centré autour de la Torah et du corpus scripturaire néotestamentaire, de la tradition judaïque, des aspects culturels et historiques pour mieux resituer les racines juives profondes du Christianisme et des Paroles de Yéchouâ. La belle figure de ce rabbin aimable, souriant, rempli de douceur et toujours prompt au dialogue fraternel aide à nourrir une lecture toujours alerte, précise, des interprétations libres et toujours passionnantes. Sa personnalité est en elle-même un véritable pont favorisant le dialogue entre juifs et chrétiens, apportant à l’Autre une part féconde d’enrichissement. Sa propre histoire née sur l’autre rive de la Méditerranée lui permet de faire de ce champ d’études un sujet de jonction et de compréhension plutôt qu’un sujet de séparation autour de la Personne de Jésus. Ce nouvel éclairage favorise le dialogue interreligieux, cependant, « la relation entre le peuple juif et Jésus n’a jamais été simple, et tout d’abord dans les Évangiles ». (p 14)
Philippe Haddad revisite les Évangiles à l'aune de la tradition juive en les lisant sous un angle à la fois croisé et multiple : Bible, Midrash et Talmud. Il propose de méditer les paroles de Jésus-Christ, ses enseignements, et en même temps les gestes qu’il pose durant son Ministère public dans la cohérence du Judaïsme de l'époque du Deuxième Temple de Jérusalem. Des gestes et des réflexions qui peuvent nous surprendre, et souvent même nous étonner en faisant de cette nouvelle grammaire un lieu d’étonnement savoureux et inédit. La première marche à gravir avant de s’affronter aux « Évangiles et de rencontrer notre Jésus, son activité et son enseignement », est selon lui, de « situer le lieu (du) propos concernant l’historicité des faits. » (p 21) C’est donc un chemin progressif et didactique que Philippe Haddad nous propose ici.
Les origines du Messie interrogent également comme fils d’Israël. « Jésus, maître de la Torah, maître de la prière, maître du miracle, guérisseur. Jusque-là, la foi d’Israël ne se heurte à aucune difficulté, le Talmud ayant gardé mémoire de Rabbis qui cumulaient ce type de dons exceptionnels. Mais la foi chrétienne ne se limite pas à ces constatations, elle pousse au-delà de cette mémoire, ajoutant la messianité et la résurrection de Jésus, le Fils de l’Homme. Sans ces éléments supplémentaires, Jésus aurait été un rabbi comme tant d’autres, doté d’une pensée percutante et aiguisée Nos questions demeureront identiques. Quel regard, du point de vue du Judaïsme, pouvons-nous porter sur ces moments particuliers de son existence ? Y-a-t-il rupture ou continuité, ou du moins cohérence ? Le Judaïsme peut-il rester lui-même après la venue de Jésus, le Christ, ou bien le passage vers une nouvelle économie de l’Histoire (du Salut) a-t-il été réalisé ? » (p 207)
Cette question est au cœur de ce livre, et la question reste toujours ouverte…
En tout cas, ils rapprochent les deux traditions creuset d’une même vaine et d’un même berceau culturel et spirituel en mettant en exergue des points de convergence entre Jésus, et l’enseignement des talmudistes, des maîtres de la Loi, des scribes et des pharisiens. On notera également l'originalité qui se dégage de cet enseignement révolutionnaire pour l’époque du jeune rabbin de Nazareth en conflit avec l’intelligentsia de son Temps. À la différence de beaucoup d’autres lectures rabbiniques contemporaines, le travail exégétique et spirituel du rabbin de la Synagogue Copernic tranche par sa bienveillance. Le regard « affectif » qu’il porte sur la vie du Galiléen, et son enseignement (Les Béatitudes, le Notre Père, le Discours du Pain de Vie, sa conception du respect du Shabbat et des lois halakhiques, sur la miséricorde…) s'inscrivent dans cette mission initiée dans le dialogue fraternel entre juifs et chrétiens depuis le texte conciliaire « Nostra Aetate » de Vatican II. Un Compendium de textes sur les rapprochements de l’Église avec le Judaïsme présenté au Collège des Bernardins, les textes et les liens du Pape Jean-Paul II, un Catéchisme initié par la Conférence des Évêques de France, le travail de l’AJCF et de nombreux groupes porte ce beau projet. Cette étude percutante se situerait dans un esprit d’une Havruta, d’une Fête de Chavouoth permanente dans le désir de scruter l’Écriture, de comprendre, et de s’approprier des textes d’une façon renouvelée pour en tirer le meilleur pour tous.
Comment résumer un tel parcours initiatique et de découverte de ce Juif bien singulier que fut Jésus de Nazareth ? C’est certainement en laissant la parole à son auteur qui le fera mieux que quiconque, et nous dire ce qu’il a voulu nous partager dans ce livre : « Aujourd’hui de plus en plus de juifs et de chrétiens s’engagent dans ces rencontres et ces dialogues fraternels, porteurs de toutes les espérances, au-delà d’eux-mêmes. S’il fallait résumer ce qui, à nos yeux, constitue la quintessence de l’enseignement de Jésus, nous le résumerions en un paragraphe ultime. La règle d’or : l’amour de Dieu (quelle que soit la conception que l’on s’en fait) s’expérimente dans l’amour du prochain, notamment envers les plus démunis (sur le plan économique, physique et affectif), et le bannissement de toute haine de son cœur. La chapitre 25 de Matthieu qui complète : ce que vous avez fait, en bien ou en mal, au plus petit, c’est à moi que l’avez fait. Nous serons jugés au Jugement dernier sur le Bien et le Mal que nous aurons accompli (…) Jésus nous a montré comment devenir fille et fils de Dieu. De ce point de vue, Jésus fut et restera un guide pour l’humanité, qui, au temps des obscurantismes, a toujours besoin de maîtres lumineux ». (pp 243-244). Un livre qui est un pont, et un instrument de dialogue et de rencontre pour toutes et tous !!!