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Une diversité menacée : Les chrétiens d'Orient face au nationalisme arabe et à l'islamisme

21 août 2018 | resena
Une diversité menacée : Les chrétiens d'Orient face au nationalisme arabe et à l'islamisme

Joseph YACOUB

Père Patrice Sabater, cm

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Depuis le début de la guerre en Syrie et en Irak, la communauté chrétienne du Proche et Moyen-Orient est défigurée ; non seulement par les morts et par les départs de beaucoup d’entre eux mais aussi en raison des pertes culturelles incommensurables. « Pourquoi en est-on arrivé là ? », s’écrit Joseph YACOUB au début de son ouvrage. Oui, telle est bien la question de fond que pose ce témoin, chrétien oriental et universitaire de renom. Il étudie, ici, les espaces géographiques peu abordés dans certains livres. Il propose également une réflexion sur le thème de la diversité et des identités. L’auteur ne cherche pas les raisons immédiates de cet état de fait. Il analyse la manière dont les idées nationalistes arabes et l’islamisme ont conduit à une certaine mise à l’écart et à un effondrement des minorités chrétiennes.

Trois parties sont nécessaires pour développer son propos : Premièrement, « la pensée nationaliste arabe ou la négation de la diversité culturelle ». Ensuite, « deux pays musulmans non arabes : l'Iran et le Kirghizistan » et, enfin « la diversité culturelle comme alternative ?». L’universitaire traite essentiellement de la question des chrétiens assyro-chaldéens d’Irak, de Syrie et d’Iran. Mais la question des minorités chrétiennes dans des États à majorité musulmane est surtout au cœur de cet opus. Le thème central de cet essai est la place de la diversité culturelle et religieuse au sein d’un État à majorité musulmane.

Il présente minutieusement les deux menaces principales qui frappent le Proche-Orient dans ses dimensions de diversité ethnique, culturelle, linguistique et religieuse. Cette diversité est mise à mal depuis plusieurs années, en Syrie et en Irak notamment, du fait de la volonté d’arabisation du nationalisme arabe et la montée d’un islam violent. Cette arabisation et cette éradication ont été menées tambour battant pour des raisons religieuses et linguistiques, de prédominance culturelle et civilisationnelle. Selon lui, les régimes nationalistes véhiculant cette idéologie nationaliste arabe n’étaient aussi favorables au statut des chrétiens au Proche-Orient. Les chrétiens sont marginalisés. La question linguistique, quant à elle, retient toute l’attention de l’essayiste qui ne la considère pas comme secondaire. Par exemple, la langue syriaque n’est pas reconnue par les musulmans irakiens.

En 1950, suite au Mandat français, la Syrie adopte une Constitution stipulant que le pays fait partie intégrante de la « Nation arabe », et que l’islam est religion d’Etat. Rien n’est dit sur les chrétiens. Aucune reconnaissance juridique... Le Parti Baas fondé par Michel AFLAK (Syrie et Irak) poursuit cette politique d’éviction depuis lors. L’islam et la Charia sont donc premiers pour ces régimes. Pourtant, bien que minoritaire aujourd’hui, le christianisme est nettement antérieur à la religion du Prophète Mohammed. Joseph YACOUB affirme que le « christianisme est né ici bien avant Rome. C’est une religion authentiquement orientale ».

Acteurs essentiels et incontournables de la Nahda ou « renaissance arabe », les chrétiens ont joué un rôle de premier plan, y compris dans la diffusion des écrits grâce à l’imprimerie. Une des toutes premières se trouvait dans le monastère maronite de Qozhaya, dans la Vallée de la Qaddisha (Liban). C’est ainsi que l’Europe a découvert la littérature chrétienne orientale, non seulement en syriaque mais aussi en arabe. Le propos de l’auteur n’est pas de traiter de « l’arabité », mais de la mettre en exergue. C’est ainsi qu’il s’exprime dans une interview récente : « Il existe bien un patrimoine oriental dans ses deux dimensions arabe et syriaque, musulmane et chrétienne, qui s’interpénètrent et se complètent. C’est ce que je voulais montrer dans mon livre, en soulignant le problème de l’exclusion du syriaque du discours arabe dominant. Si le chrétien oriental était reconnu dans son identité culturelle et linguistique, cela l’aurait apaisé et facilité son intégration dans le melting-pot régional. » Le christianisme n’est pas une religion d’importation provenant de cet Occident décadent. Le christianisme, antérieur à l’islam, est fondamentalement une religion orientale. Pourtant il se trouve « enfermé », emprisonné et privé de ses droits. « L’enfermement sur l’identité arabe » le désert. Au lieu de produire de la diversité et des échanges, la culture et l’Histoire s’appauvrissent du fait de l’uniformité. Le Moyen-Orient est arabo-musulman et,... syriaque. La civilisation arabo-musulmane fait partie intégrante de l’histoire de la région. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas urgence à s’ouvrir aux autres minorités : Yézidis, Mandéens, Chabaks, Kakaïs, et Circassiens.

Au terme de la lecture de ce livre, nous pouvons nous demander quelles sont véritablement les perspectives pour les chrétiens d’Orient vivant en Irak et en Syrie ? La diversité des mémoires, les avancées constitutionnelles reconnaissant la liberté de culte, et le rejet de l’idéologie islamiste permettent des commencements de réconciliation. Cela ne suffit pas. Il faut aller plus loin, en donnant des moyens efficaces pour la construction de la citoyenneté. Cela passera par la dénonciation des nationalismes arabes et par la volonté de donner aux populations arabes un statut prônant l’égalité de droits et de devoirs tant au Machrek qu’au Maghreb. Il y a aussi à acquérir une éducation de respect des personnes et d’intégration totale de l’Histoire. Le fait d’être passé, tout d’abord, de l’arabisme à l’islamisme, et ensuite le fait d’avoir une vision partielle - totalitaire/totalisante – n’autorisent pas les pays arabes à accepter d’autres histoires ou des héros autres que musulmans ! Les Etats arabes aujourd’hui ont davantage favorisé l’Umma (la communauté de foi islamique) que la diversité culturelle et religieuse. Il est donc nécessaire que les chrétiens aient leur place dans ces pays du Moyen-Orient, qu’ils y soient en sécurité et qu’ils aient une pleine citoyenneté. Dans le cas contraire, l’Orient deviendrait monocolore et s’appauvrirait d’autant plus.

Encore aujourd’hui, les chrétiens ont un rôle déterminant à jouer en Orient comme en Occident. Ce rôle sera d’autant plus efficace dans la mesure où l’Occident soutiendra les efforts pour faire advenir l’égalité citoyenne, la liberté de culte et d’association. En 2018, la propension des chrétiens d’Orient est davantage au « renoncement »; et donc au départ. Disparaîtront-ils ? Aucun signe patent ne laisse envisager un retour massif de ceux qui sont partis. Les courants radicaux vont poursuivre leur progression avec un retour du religieux. En revanche, il n’en faudrait pas beaucoup pour redonner un peu d’espoir comme par exemple, si une résistance des diverses couches de la population – musulmane et arabe en général – se faisait jour œuvrant ainsi à la coexistence. Autre élément constitutif pour une nouvelle espérance : inscrire le christianisme oriental dans la Constitution, au même titre que l’islam. Cela demanderait une réflexion anthropologique soutenue afin d’accepter de voir l’autre comme radicalement différent, et radicalement frère d’une même culture et d’une même terre à partager. Le seul pays qui, de nos jours, accepte l’altérité en vue d’une plus grande fraternité est le Royaume Hachémite jordanien.

Avec Joseph YACOUB, nous faisons un bond en relisant les raisons pour lesquelles le nationalisme arabe du 20ème siècle a échoué ; et pourquoi il a été incapable d’intégrer les cultures non-arabes et non musulmanes. Si le livre se termine par quelques belles idées – peut-être un peu utopiques -, il n’en demeure pas moins que la diversité culturelle et l’altérité seront des marqueurs féconds pour ce Proche-Orient « nouveau » à naître, dans la mesure où la partie musulmane (surtout la plus intransigeante) s’ouvrira résolument à plus qu’à elle-même. Ce rêve se réalisera aussi dans la mesure où les chrétiens feront aussi des pas vers plus d’Unité, de Charité et de réconciliation. Une plus grande unité réalisée en Christ serait un beau témoignage puissant et engageant vis-à-vis de l’islam. Chacun a donc sa part à creuser.

Le livre n’est pas toujours simple... Quelques cartes, quelques repères historiques et un glossaire faciliteraient la lecture de cet essai au demeurant très intéressant du fait de son approche nouvelle. Une bonne étude devenant un cri pour ces populations d’Orient…

 

Patrice Sabater, cm
Juillet 2018

Joseph YACOUB, Les chrétiens d'Orient face au nationalisme arabe et à l'islamisme. Editions Salvator, Paris 2018. 224 pages. 20 €.
 

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