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Pierre Claverie, Humanité plurielle

4 juin 2014 | resena
Pierre Claverie, Humanité plurielle

Recensions de Pierre Claverie, Humanité plurielle, par E. Pisani, op

Pierre Claverie, Humanité plurielle, Présentation par sœur Anne-Catherine Meyer, op, (Collection « L’Histoire à vif »), Editions du Cerf, Paris 2008, 336 p.
 

Dans la Revue Peuples du monde, Pierre Claverie, évêque d’Oran de 1981 au 1er août 1996, date à laquelle il meurt assassiné dans une Algérie meurtrie et écartelée par le terrorisme islamiste, écrivait : « Le maître-mot de ma foi aujourd’hui est donc le dialogue. Non par tactique ou opportunisme mais parce que le dialogue est constitutif de la relation de Dieu aux hommes et des hommes entre eux. Avec Jésus, je réapprends que Dieu même pour se faire connaître et manifester sa volonté a emprunté à l’humanité ses mots et jusqu’à sa chair. Je constate que toute l’histoire sainte se déroule sous le signe de la communication rompue et retrouvée dans un dialogue dont Dieu prend l’initiative. La fécondité de cette histoire vient de cet échange d’amour dialogal qui s’inscrit contre la rupture diabolique de l’origine. C’est pourquoi, j’en veux aux religions, et même souvent à mon Eglise, de pratiquer plus volontiers un monologue agressif et de cultiver leurs particularismes. Et je souffre de voir quel lamentable témoignage donnent les croyants dans leur prétention à soumettre et à régir l’humanité en l’asservissant à leurs lois (1) ».

Ce texte d’une densité remarquable exprime en quelques mots le cœur même de la pensée théologique et spirituelle de Pierre Claverie. Il est un parfait résumé du dernier ouvrage publié aux éditions du Cerf sous le titre Humanité plurielle qui regroupe quinze articles ou conférences sur la rencontre et le dialogue islamo-chrétien.

Ces écrits d’une actualité toujours vive, n’esquivent aucune difficulté et révèlent une pensée critique profonde, réfléchie, mystique aussi. Pierre Claverie était un évêque engagé, comme l’indique l’étendu du champ des questions qu’il aborde. Primo, des questions pastorales – Quel est le rôle et la place de l’Eglise en terre d’islam ? Comment concevoir l’évangélisation en terre d’islam où tout prosélytisme est interdit ? Secundo, des questions théologiques – Quelles sont les conditions d’un dialogue interreligieux sincère et respectueux de la foi de l’autre ? Comment les musulmans peuvent-ils être sauvés s’ils refusent de croire au Christ Sauveur ? Les adeptes des autres religions sont-ils en mesure d’entrer dans la vision que l’Eglise peut avoir d’eux ? Quelles sont les incidences des sciences du langage et de l’exégèse sur la théologie aujourd’hui ? Tertio, des questions spirituelles - Dans quelle mesure la prise en compte de l’autre est-elle un chemin vers la vérité toute entière ? In fine, des questions politico-religieuses – Pourquoi les religions sont-elles sources de conflit ? Quelle conception l’islam a-t-il des droits de l’homme, de la démocratie, de la laïcité ?

Pierre Claverie ne laisse jamais ses questions sans réponses et avec pédagogie, il prend le soin de souligner les conditions nécessaires au fondement d’un dialogue sincère dénué d’ambiguïtés. Car en ce domaine, la bonne volonté et l’enthousiasme de la foi ne suffisent pas. La prise de conscience des possibilités de malentendus est un préalable. Les artisans du dialogue doivent être des hommes et des femmes avertis de l’équivocité des mots ou des expressions théologiques. Ces conditions posées, comment dialoguer ? Comment se rencontrer ? En vivant ensemble répond l’évêque d’Oran, car c’est au cœur de ces expériences communes que se forge un langage commun. En écoutant aussi. Dieu bien sûr, les représentants qualifiés de l’islam et du christianisme bien certainement, mais aussi les pauvres, les derniers pour qui Dieu a une prédilection. A la suite d’un témoignage de Jean Vanier, Pierre Claverie écrit : « Il n’y a de rencontre et de dialogue possibles que si nous nous mettons à écouter ensemble le cri, muet ou inarticulé, de celui ou de celle qui appelle la présence et déploie toutes ses ressources pour pallier son handicap et se rendre présent » (p. 273).

La lecture de ce livre est une bouffée d’air frais et d’intelligence. On est loin de toute forme d’idéalisme naïf ou pis encore d’une complaisance candide envers les instances étatiques ou celles de l’orthodoxie islamiste. Pour autant, on ne trouvera pas la moindre ligne d’une apologétique stérile et malveillante parée des habits d’une science embourbée dans ses préjugés. Le propos de Pierre Claverie est pétri par l’Evangile. Il en garde l’esprit et la saveur.
fr. Emmanuel Pisani o.p.

1. Pierre CLAVERIE, in Peuples du monde, no 275, septembre-octobre 1994, pp. 36-37.
2. Pierre CLAVERIE écrit : « Trop souvent, du côté chrétien, le dialogue est mené par des hommes dont les connaissances historiques et théologiques ne sont pas toujours à la hauteur de leur bonne volonté ou de leur connaissance de l’islam. De nombreuses équivoques naissent de cette relative compétence dont souffre beaucoup de nos rencontres » (p. 104).

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