Palestine, notre blessure

Auteur: Patrice Sabater
Edwy PLENEL, Palestine, notre blessure. Ed. La Découverte, Paris 2025. 152 pages. 12 €
Lire ce qui se passe aujourd’hui à Gaza et en Palestine demande de prendre de l distance et du champ. C’est ce que se propose de faire Edwy PLENEL dans son dernier livre publié aux Editions « La Découverte » reprenant une série d’articles et de méditations sur le sujet depuis de nombreuses années. C’est en tout premier lieu montrer la continuité, la cohérence des positions de l’organe de presse « Mediapart » depuis qu’il traite cette question récurrente.
L’élection de Barack Obama avait levé une grande espérance, et principalement lors de son discours en Egypte. Cela n’a été qu’un effet d’annonce, et rien n’a changé… L’ouvrage, dédié à Leila Shahid et à Elias Sanbar, se centre autour d’une idée fondamentale qui porte sur la « cause universelle » des évènements que nous connaissons. Le Droit international s’est fondé sur la base de l’égalité entre les peuples et les nations. Or, nous constatons qu’il y a une chute vertigineuse des valeurs, un renversement des positions en promouvant une dynamique de « deux poids deux mesures » au profit de certains. Cela est vrai en ce qui concerne le conflit israélo-palestinien. Au-delà de la géopolitique se pose la question à la fois de l’égalité, du droit à cette dernière et à celle des Nations. Y-at-il véritablement une égalité entre les Nations dans le Monde et au sein des Nations Unies ?
La remise en cause du Droit international n’est pas seulement du côté israélien dans le monde. Nous sentons que des politiques s’articulent autour des mêmes principes. C’est pour cette raison, que la question de la Palestine et de Gaza concerne l’ensemble des Nations et des Peuples. Ce « foyer brûlant » porte en lui-même une catastrophe à venir – et déjà là -, que nous n’avions pas connu depuis la création de l’ONU. Gaza agit comme un foyer incandescent au cœur du Proche-Orient entraînant une offensive politique et belliqueuse. Elle conduit à produire des images déshumanisantes des populations palestiniennes au seul profit d’une civilisation qu’ils seraient en train de menacer. Le Droit international ne se divise pas en mettant d’un côté l’Ukraine et de l’autre côté Gaza. Une Résolution de soutien à l’Ukraine a été rejetée par la Russie, les Etats-Unis et Israël. Que penser de cette attitude ? Israël a voté contre le soutien à l’Ukraine ; et tout cela sonne déjà la fin du Droit international tel que nous l’avons connu jusqu’alors. La Shoah venait de la folie des Hommes, de la projection de l’Europe sur le Monde, de l’idéologie nazie et fasciste ; d’où la volonté de créer après la SDN l’organisme que nous connaissons aujourd’hui sous l’appellation d’ONU en forgeant des principes, une Cour internationale, et diverses structures pour aider à faire respecter le Droit international. Donald Trump a criminalisé la Cour international de Justice avec le soutien de Vladimir Poutine et de Benjamin Netanyahou. Nous sommes arrivés à un moment de vérité, et à un défi de civilisation. Dans quel monde voulons-nous vivre ? Avec quelles valeurs ?
Ceux qui ont été de fervents « optimistes » depuis 1947, 1948, 1967…, par exemple Leila Shahid et Elias Sanbar ont bien compris que le chemin serait escarpé, de plus en plus difficile…, et peut-être inatteignable par les voies ordinaires de la diplomatie de ces dernières années. La donne a complètement changé, sa compréhension et les moyen pour y arriver. Ils incarnent, malgré tout, une résilience de la Palestine avec une certaine créativité… ; et même si celle-ci s’essouffle un peu dans les faits. L’ardeur, en revanche, reste vive.
En 2014, le Président François Hollande, que nous pouvons comparé à un autre Socialiste – Guy Mollet -, a opté pour une autre position de la diplomatie française en basculant dans un soutien inconditionnel et sans faille à Israël. On a diabolisé la jeunesse qui défendait la Palestiniennes en regard des actions israéliennes. On a associé les jeunes des banlieues françaises aux Palestiniens, et surtout à ceux de Gaza. Y-a-t-i un lien objectif et patent ? Il s’agit aussi de considérer cette action politique autour d’une autre question fondamentale vieille comme le monde, qui est corrélée et connectée à la précédente : la question coloniale.
La question coloniale a toujours portée l’idée d’une déshumanisation de l’Autre. Elle porte l’idée profonde que certains ont un droit supérieur à d’autres. La civilisation judéo-chrétienne, dont nous parle Sophie Bessis, dans son dernier opus, serait supérieure aux autres. On peut objectivement se demander comment l’Europe s’est projetée sur les autres ? Y-aurait-il une grandeur à payer pour se hisser à la hauteur de celui qui prétend être son supérieur ? La question coloniale avait déjà été à l’œuvre à l’époque de l’Algérie et ses démêlés avec la SFIO de Guy Mollet ; et pas seulement… Un imaginaire colonial dont l’auteur aborde le sujet dans son introduction en soulignant le délire de puissance et de domination étant la question de la hiérarchie de peuples, de groupes, de nations supérieures. Cette idée qui prévaut à nouveau de nos jours nous rappelle des heures sombres en France au XXème siècle, en Afrique et dans d’autres endroits du globe (en Afrique du Sud, par exemple avec la politique de l’Apartheid combattue par Nelson Mandela). L’idée serait qu’il y aurait à nouveau une civilisation occidentale supérieure aux autres. Comment peut-on de nos jours affronter ce qui nous menace nous-mêmes dans nos démocraties ; et pas seulement au Proche-Orient en Amérique latine, en Afrique ou en Asie ? Comment cela vient-il nous apprendre quelque chose de nous-mêmes éviter les écueils passés. Les idées identitaires et extrémistes qui font leur apparition en force en Europe et dans le Monde nous oblige à cette réflexion.
La « Cause palestinienne » est du côté de l’émancipation, de la quête de la liberté, de la démocratie, du respect des droits fondamentaux de l’Homme, de la solidarité. Nous ne pouvons nous taire et nous ne pouvons pas non plus être aveuglés en rendant coup pour coup, par une réponse extrême et démesurée. Il n’est pas possible de choisir le même chemin de la barbarie que l’autre a utilisé. Nelson Mandela pensait qu’il « fallait libérer les oppresseurs par notre humanité ». Après le 7 octobre 2023, on ne peut que crier à l’ignominie et refuser les actes violents, atroces et barbares. Le « Sage », la personne « raisonnée » a un imaginaire supérieur par rapport aux oppresseurs en séparant les humains et « les humanités ». Néanmoins, pour cette même raison il n’est pas possible humainement de cibler les civils, les vieillards et les enfants. La fin ne peut justifier les moyens par des moyens condamnables.
En France, lorsque l’on veut parler d’Israël comme Etat la voix est muselée, et l’on est taxé « d’antisémitisme ». Cet Antisémitisme qu’il nous faut combattre à tout prix ne peut pas non plus rester muets, aveugles et sans réactions par rapport à ce qui touche l’Humanité en souffrance à Gaza !!! On ne peut pas non plus se désintéresser complètement de l’avenir des Palestiniens, et au-delà ne pas investir dans un choix politique pour asseoir la paix et adopter une résolution créant deux Etats. Œuvrer en ce sens ne serait pas fidèle à la mémoire de la Shoah, et de tous ceux qui ont crié que « jamais plus cela ne puisse se revivre ». Il y a là un appel pour la France à ne pas entrer dans une guerre intestine mettant des groupes de personnes, des confessions, des positions en regards critiques favorisant des troubles et des obsessions stériles et dangereuses. Les débats mémoriels, en France, agissent en ce sens…
L’ouvrage se déployant sous onze chapitres se termine par un double attention autour du « mensonge de Benjamin Netanyahou » concernant l’agression et la « destruction de la civilisation judéo-chrétienne ». Les dernières phrases d’Edwy Plenel nous alertent sur ce qui risque d’arriver ; et qui est déjà là… hélas ! Elles nous laissent songeurs : « Déjà lourds d’orages, le ressentiment du monde contre nos nations n’en sera que plus grand. Et nous devrons l’affronter avec cette sourde honte de n’avoir rien pu empêcher alors même que nous étions témoins, les yeux grands ouverts, de cette marche à l’abîme » (p 152). A lire !