DOMUNI UNIVERSITAS

Palestine

26 janvier 2018 | resena
Palestine

Noam CHOMSKY et Ilan PAPPÉ

Patrice Sabater, cm

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En cette fin d’année 2017, « la Question palestinienne » a été une nouvelle fois au cœur de l’actualité internationale après que le Président américain Donald Trump ait reconnu Jérusalem comme Capitale de l’Etat d’Israël. Le dernier opus de Noam CHOMSKY et Ilan PAPPE, "Palestine" s’inscrit irrémédiablement à l’opposé de ces positions dangereuses qui ne conduisent, selon eux, qu’à accroître davantage le colonialisme et la dépossession. Ils répondent à Frank BARAT, Coordonnateur du Tribunal Russell sur la Palestine (TRP) créé en réaction à l’inaction de la communauté internationale devant les violations avérées du Droit international commises par Israël. La première session du Tribunal s’est tenue à Barcelone du 1er au 3 mars 2010. Il est l’éditeur de plusieurs livres : « L’État de siège » (2013) conversation avec Noam CHOMSKY et Ilan PAPPE, suivi d’un entretien avec Stéphane Hessel, « Palestine » (2016)… C’est la lecture de plusieurs auteurs sur cette thématique qui les ont motivés, d’une part, à s’intéresser à « la cause palestinienne » et, d’autre part, à la défendre. Parmi ces auteurs, on compte : Edward Saïd, Mahmoud Darwich, Ghassan Kanafani, John Berger, Tanya Reinhart, Ilan Pappé, Norman Finkelstein, Kurt Vonnegut, Arundhati Roy, Naomi Klein… (pages 12-13)

L’ouvrage se présente comme une conversation à bâtons rompus sur le thème de la Palestine après les trois dernières offensives de Tsahal : « Plomb durci » (2008-2009), « Pilier de défense » (2012), « Bordure protectrice » (2014). Des milliers de morts et une série de nouvelles expropriations de terres en Cisjordanie. La Palestine s’enfonce et se disloque davantage. L’Etat d’Israël renforce sa sécurité et augmente « son territoire ».

Deux grandes parties interactives font le corps de cet ouvrage. Ilan PAPPE, dans le premier chapitre, expose la démarche suivie. « Lorsque Frank Barat, Noam Chomsky et moi avons décidé d’entreprendre une longue discussion sur la Palestine, nous l’avons divisée en trois parties : le passé, où nous concentrerions notre attention sur le sionisme en tant que phénomène historique, le présent, où nous nous questionnerions en particulier sur la pertinence d’appliquer le modèle de l’apartheid à Israël (…), et sur l’avenir, où nous mettrions en balance la solution à deux Etats et celle à un Etat ». (page 17) Les échanges qui précisent la pensée de chacun sont directs, courtois, francs et sans détours. Les deux universitaires interviennent séparément sur la situation politique actuelle en Israël, et aussi sur le rôle des États-Unis d’Amérique dans le dossier toujours « ouvert » cherchant une issue pour la paix.

Jour après jour, on constate que l’Etat d’Israël met tout en œuvre pour coloniser de plus en plus de terres afin que soit rendu impossible l’établissement d’un véritable Etat palestinien. A ce jour, ce territoire est à la fois réduit et ressemble à une passoire remplie de trous épars. La question palestinienne reste une question coloniale. « Ce n’est pas une question de religion ou de deux peuples se battant pour la même terre », affirme Frank BARAT. Cette politique n’est pas née en 1948, date à laquelle l’Etat d’Israël est fondé. Elle date bien avant l’arrivée massive des Juifs d’Europe centrale. L’accaparement des terres a été progressif, systématique, durable et implacable. Les slogans, les mots, les photos et les images participent grandement au traitement de la question palestinienne par les médias; et l’image de terroriste véhiculée par les organes de presse reste prégnante. Cette situation politique génère, des deux côtés, de l’incompréhension, de nouvelles « stories » pour mieux asseoir les positions des uns et des autres. Pour autant qu’on puisse le dire, il y aurait somme toute une différence de niveau dans la couverture médiatique de l’actualité du conflit israélo-palestinien. D’un côté, il y aurait un peuple plutôt plus présentable et victime et, de l’autre, un visage complètement déshumanisé. Les Palestiniens étant ceux par qui le sang et l’horreur arrivent… Deux récits, deux mémoires et deux mouvements victimaires s’affrontent, un beaucoup plus ficelé que le second, plus maladroit et manquant de soutiens efficaces…

Ilan PAPPE souligne quatre paradoxes : 1. Plus Israël est condamné par la communauté internationale désapprouvant son action et ses manquements à l’égard des Droits de l’Homme, plus l’Etat hébreu bénéficie (jusqu’à ce jour) d’un soutien des puissances occidentales. 2. Un effet de miroir déformant la réalité, et amenant la société israélienne à se percevoir plus « positive » que ce qu’elle est en réalité. 3. Un mouvement solidaire avec la Palestine qui n’arrive pas à désigner le sionisme comme vecteur de la politique d’apartheid et de colonisation de la part d’Israël ; alors que « le sionisme est au cœur de la criminalité d’Israël ». 4. Israël présente le conflit israélo-palestinien comme « compliqué » alors qu’en réalité, « c’est un cas simple et familier de colonialisme de peuplement » (Ilan PAPPE). Ce dernier propose de changer la méthodologie, le langage, le vocabulaire… Noam CHOMSKY, quant à lui, revient sur le soutien à la politique de colonisation par de grandes nations comme l’Australie, le Canada et les États-Unis qui semblent « des alliés naturels » du fait de leurs origines coloniales là où ils se sont installés. CHOMSKY propose de se focaliser sur les Etats Unis d’Amérique… C’est là le noyau ou le vecteur par lequel l’essentiel passe…, et l’Administration Trump – faut-il le dire - reste dans cette veine impérialiste. Le Pays de l’Oncle Sam n’est guidé, selon Chomsky, que par des intérêts propres autant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il faut reconnaître, ici, que Noam CHOMSKY s’est trompé en prévoyant un étiolement du soutien des Etats-Unis pour Israël. La récente actualité nous le montre. Il en va certainement autrement de la société américaine pour une grande part, et de l’opinion des Nations pour une autre part. Encore faudrait-il le vérifier dans les mois à venir.

Ce livre a du tonus, et c’est certainement dans la deuxième Partie que se notent davantage les différences. Le débat toujours courtois devient plus vif autour de l’idée d’une solution autour de deux Etats. S’ils s’accordent pour dire que les négociations de paix ont été un jeu de dupe pour permettre à Israël de continuer à coloniser la Cisjordanie ; il en est autrement de la perception politique autour de deux Etats, israélien et palestinien. Noam CHOMSKY pense que cette solution est la seule réaliste parce qu’elle est portée par un consensus international. Il émet l’idée qu’Israël pourrait se sentir complètement isolé au niveau international et, ainsi, serait amené à négocier une solution à deux Etats, favorisé par le consensus international. Encore faudrait-il pour cela que l’Administration américaine lâche le gouvernement israélien en raison de violations manifestes du droit international. Opposé à cette idée, Ilan PAPPE pense que la solution par deux Etats n’est pas viable et qu’elle n’est pas la solution ! Elle ne traite pas du nœud gordien qui, selon lui, est « le sionisme comme mouvement colonialiste et Israël comme « État raciste et d’apartheid » ». Comment pourrait-on penser une solution qui ne garantirait pas pour tous, réfugiés palestiniens compris, « la plénitude des droits, de l’égalité et de la coopération. » Nous assistons, selon les commentateurs à une « israélisation de la société », à une « désarabisation » d’Israël et de la Cisjordanie ce qui conduit jour après jour à une désespérance, à une impatience, et à des sentiments d’injustice… L’émergence de nouveaux conflits au Proche-Orient, la guerre en Syrie et en Irak, au Yémen et en Lybie, ne risquent-elles pas de faire oublier la cause palestinienne ? Ne risquent-t-elles pas d’essouffler la solidarité et la recherche véritable de la paix ? Ne risquent-t-elles pas de nous faire oublier l’urgence à trouver le chemin de la raison pour que ce conflit soit enfin et définitivement résolu ?

Ce livre marque des positions affirmées et permet de lire ce conflit par d’autres biais que ceux habituellement proposés. Il permet de faire la part des choses et d’entendre la position de l’Autre. Dommage qu’ici on parle plus des Palestiniens, et qu’on ne les entende pas de ci de là… Cela aurait donné une autre épaisseur à ce livre, ne serait-ce qu’en fin d’ouvrage. Un livre à conseiller.

 

Patrice Sabater, cm
Décembre 2017

Noam CHOMSKY et Ilan PAPPÉ, Palestine. Direction Frank Barat. Editions Ecosociété, Montréal 2016. 180 pages. 19 €

 

Crédit photos : Critical studies et Wikipedia

 

 

 

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