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Musiques du monde arabe

25 juin 2025 | resena
Musiques du monde arabe

Auteur: Patrice Sabater

Coline Houssais, Musiques du monde arabe. Une anthologie en 100 artistes. Ed. Le Mot et le Reste, 2022. (24 €)

Une anthologie en 100 artistes

 

Le livre de Coline Houssais se distingue comme une œuvre de référence incontournable pour un public averti : mélomanes, curieux de la musique arabe et orientale, étudiants en musicologie, sociologie ou poursuivant des études en langue arabe ; ainsi que des enseignants.

Coline Houssais est chercheuse indépendante spécialisée dans l’histoire culturelle de l’immigration maghrébine et proche-orientale en Europe ainsi que dans les musiques du monde arabe. Enseignante à Sciences Po, et fondatrice d'Ustaza (Paris), l'Agenda culturel arabe de la Région Île-de-France (2011-2021).

Dès le début de cette anthologie elle avertit le lecteur : « Il est délicat de restituer l’extrême diversité d’une création et d’un patrimoine musicaux référant à une zone aussi vaste que le monde arabe. Y a-t-il pertinence par ailleurs à considérer cette région comme une entité suffisamment homogène pour constituer un ensemble Si oui sur quelles frontières ? » Et donc sur quels critères Parler de musique arabe, c’est se risquer à définir l’arabité » (p 11). L’auteur pose le champ de son travail, et les contours de l’espace dans lequel elle ava organiser sa pensée et ses recherches. Il manquait ce type d’ouvrage dans l’édition française pour explorer la richesse et la diversité des musiques arabes (proche-orientales, maghrébines ou un peu plus éloignées…). L’anthologie proposée par les Éditions Le Mot et le Reste mêle des figures historiques (Fairouz, Oum Kalthoum, Abdel Wahab, Wadi el Safi, Farid el Atrache, Reinette l’Oranaise), et artistes contemporains (Souad Massi, Mashrou' Leila, Omar Souleyman) des pays arabes et de la diaspora.

« Qui de Nouakchott à Khartoum en passant par Damas et Mascate n’a jamais entendu les lentes notes de l’accordéon triste sur lesquelles la diva libanaise Fayrouz pose de sa voix pure les vers de son compatriote Gibran Khalil Gibran (…) « Donne-moi la flûte et chante/Car le chant est le secret de l’existence/Et la plainte de la flûte demeurera/Quand il ne restera plus rien ». (p 9)

Ces musiques soulignent la pluralité des traditions musicales à travers les pays arabes, de l’Égypte au Maroc, du Liban au Soudan.  Elles sont en constante évolution et très dynamiques touchant des domaines et des expressions très différentes : Tarab, Chaâbi, Raï, Electro-chaâbi, Rap, Rock alternatif... Elles portent souvent plus qu’elles ne le disent formellement, si bien que la « Rue arabe » se les approprie lors de mouvements sociaux, de révolutions ou de guerre accompagnant et/ou devançant les changements profonds des sociétés arabes. Il suffit d’aller dans les rues arabes pour vérifier que la musique est partout hormis le chant du muezzin. Elle se vend sur des petites tables de fortunes en copies de casettes audio ou de DVD de contrebande. Allez dans un restaurant, un café, chez un coiffeur ou à l’intérieur d’un taxi la musique et le chant sont omniprésents.

L’auteur a sélectionné une galerie de portraits qu’elle estime comme incontournables dressant un panorama didactique et engagé. L’ensemble déconstruit et décloisonne les clichés superficiels de ce que l’on croit connaître de la musique orientale ; et de la musique arabe en particulier. Dans un style pédagogique et sans jargon la lecture fluide est aisée et très facile de compréhension. Les références sont nombreuses, la bibliographie est solide, mais sans photos en noir et blanc. Rendons à césar ce qui est à César, l’orientation bibliographique informe d’une contextualisation favorisant la compréhension à partir de repères historiques, politiques et culturels qui permettent de comprendre les enjeux sociaux et identitaires liés à la musique.

Notons cependant quelques limites à ce livre de type encyclopédique. Elles n’enlèvent rien à la qualité de son écriture et de la recherche. 

Le format de 100 artistes impose des choix d’exclusion ; qui naturellement sont toujours subjectifs, et laissent forcément de côté d’autres artistes et d’autres musiciens. Colline Houssais justifie sa sélection tout en ne prétendant pas à l’exhaustivité. Des liens thématiques ou esthétiques entre les portraits auraient certainement permis d’avoir une vue d’ensemble et de sortir des seuls lieux dans lesquels les artistes exercent leur art. Une synthèse comparative sur les grandes tendances musicales aurait apporté une vision plus large, et approfondie de son étude. Le peu de transversalité analytique entre les portraits pourrait être ressentie comme un manque dans l’étude.

Il manquerait néanmoins une part importante qui n’émerge pas ou très peu au fil des pages. Il s’agit de la dimension religieuse, sacrée et spirituelle. La musique et les chants des traditions chrétiennes, musulmanes et soufies sont enracinées dans la vie quotidienne au cœur de la culture arabe. Fairuz est aussi l’archétype de ce fort ancrage en reprenant des chants de la tradition chrétienne dans un de ses albums. Quelques un de ses chants sont d’ailleurs parmi le plus repris dans les liturgies. Sr Marie Keyrouz, le Frère Tony El-Khouli – moine maronite (chanteur populaire s’étant converti) …, ainsi que des chanteuses libanaises chrétiennes comme Magida el Roumi sont nettement absents de cette sélection. La musique chrétienne syriaque, copte, soufie sont également une part importante du patrimoine religieux arabe.

L’émission Arab Idol عرب أيدول, aussi appelé Arab Idol : Mahboub El Arab (عرب أيدول : محبوب العرب), depuis sa création le 9 décembre 2011 est devenue un incontournable dans l’ensemble des pays arabes avec un cadre un peu à l’image les émissions européennes. Le show est diffusé mondialement : un groupe de jeunes candidats venant des quatre coins du sélectionné devant interpréter une ou deux chansons sur scène devant le public et le jury lors d'un show hebdomadaire chaque vendredi. Le premier jury était composé du chanteur libanais Ragheb Alama, de la diva émiratie Ahlam et du producteur égyptien Hassan El Shafei. C’est une égyptienne, Carmen Slimane qui remporta la compétition contre la candidate marocaine Dounia Batma. Par deux fois, au moins, la Palestine a eu la fierté de célébrer la victoire de deux Palestiniens (un musulman de Gaza, et un jeune diacre de Bethléem). Il s’agit de Mohamed Assaf  et de Yacoub Shaheen. Mohamed Assaf, après être rentré chez lui à Gaza, le jeune chanteur fait une tournée en Cisjordanie où il est accueilli par des foules à chacune de ses étapes. Quand il est rentré chez lui dans la Bande de Gaza après sa victoire la foule était si dense qu’il a eu du mal à atteindre la maison familiale de Khan Younes. La première prestation de Mohammad Assaf, à Ramallah, devant plus de 40.000  spectateurs, à proximité du mausolée du Président Yasser Arafat a été un moment de liesse populaire. Celui qui a mis le territoire palestinien meurtri sous le feu des projecteurs est le héros d'un biopic qui raconte son parcours, "Le chanteur de Gaza" de Hany Abu-Assad. 

Yacoub Shaheen (23 ans, syriaque de Bethléem) a séduit, quant à lui, le public en interprétant au chant un poème de Imra’Al-Qais, poète arabe du VIe siècle considéré comme le père de la poésie arabe. Toute la nuit à Bethléem, des milliers de Palestiniens ont brandi des drapeaux palestiniens et les emblèmes de l’Eglise syriaque. Les Palestiniens ont brillé sur la scène culturelle portant la voix de leur cause, le Président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas avait profité de sa visite à Beyrouth où est régulièrement enregistré Arab Idol pour recevoir les deux finalistes. Yacoub Chahine était opposé à Amir Dandan, un Arabe israélien, originaire de Majd al-Kroum, en Galilée. Et le jeune lauréat de dire : « Grâce à cette victoire, je vais porter dans le monde entier le message du peuple palestinien - qui parle de coexistence, d'amour et de paix », avant le concert offert à des milliers de jeunes venus de Cisjordanie mais aussi d'Israël. Un commentateur rapportait des propos sans équivoque : « Nous avons besoin de gens de ce calibre pour montrer que la Palestine, ce n'est pas seulement de la violence et du désespoir ». La musique et le chant portent donc plus qu’elles même sinon aussi la fierté de luttes, d’aspirations légitimes, et un fort sentiment national.

Le livre de Coline Houssais est indéniablement un très bon livre, solide qui a l’avantage de présenter la diversité musicale dans le monde arabe, les croisements culturels, ses influences, et son engagement social et politique dans un monde en permanente révolution politique et culturelle. Le rôle de la musique dans les sociétés arabes contemporaines est crucial et vital. En offrant ce panorama accessible elle valorise la pluralité des voix et des traditions artistiques avec un sens pédagogique qui aide la lecture. Le lecteur sortira de la lecture de ce livre en ayant fait une expérience riche, et certainement en voulant aller chez des disquaires pour passer de la lecture à l’écoute, et se laisser porter par le violon, le oud, le nay…, à l’envie. A lire !