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Mohammad Ali Amir-Moezzi, La religion discrète : Croyances et pratiques spirituelles dans l’islam shî‘isme’ite

4 juin 2014 | resena
Mohammad Ali Amir-Moezzi, La religion discrète : Croyances et pratiques spirituelles dans l’islam shî‘isme’ite

Recension de Mohammad Ali Amir-Moezzi, La religion discrète : Croyances et pratiques spirituelles dans l’islam shî‘isme’ite, par E. Pisani, op

 

Mohammad Ali Amir-Moezzi, La religion discrète : Croyances et pratiques spirituelles dans l’islam shî‘isme’ite, (Textes et Traditions), Vrin, Paris, 2006, 416 p.

Le shî‘isme, courant éminent et fécond de l’histoire musulmane, est confronté comme le sunnisme aux problèmes ardus de l’intégrisme, du réformisme et du laïcisme. Sa connaissance reste toutefois superficielle, l’évocation de l’islam se réduisant bien souvent à la seule foi et jurisprudence sunnite (fiqh). Or, si l’on veut assurer un réel dialogue entre l’islam et le christianisme, on ne peut faire l’économie d’une connaissance plus approfondie du shî‘isme. L’avertissement du professeur Henri Corbin pour qui, « il est radicalement impossible d’aller au fond des implications du dialogue islamo-chrétien si on exclut le shî‘isme. C’est lui par excellence qui pose le problème théologique du dialogue[1] », revêt une acuité toujours à propos.

Le dialogue avec le shî‘isme semble d’autant plus prometteur que l’imamologie shî‘ite, son messianisme, son culte des saints, représentent de solides points d’appui pour un dialogue théologique. La publication du livre d’Amir-Moezzi La religion discrète qui rassemble une douzaine de ses articles publiés entre 1992 et 2005 dans différentes revues spécialisées, constitue, au moins pour cette raison, un instrument précieux pour les artisans chrétiens du dialogue.

Les articles sont regroupés autour de quatre sections : dans la première, on retiendra le chapitre consacré à la « religion de ‘Alî ». En combinant les croyances antiques arabes, chrétiennes et juives sur le culte de la parenté et de la Famille sacrée, l’auteur montre qu’elle aurait été le noyau primitif du shî‘isme. La seconde section porte sur la figure de l’Imam et sa double dimension à la fois divine (lâhût) et humaine (nâsût). La troisième section aborde les pratiques herméneutiques et spirituelles du shî‘isme, quant à la quatrième section, elle traite des aspects de l’eschatologie individuelle et collective.

D’emblée, Amir-Moezzi prévient que la connaissance objective et scientifique du shî‘isme est difficile. Elle se heurte à son caractère profondément ésotérique et au procédé rédactionnel de la « dispersion de la connaissance » (tabdîd al-‘ilm) qui consiste à morceler une doctrine précise au sein d’un corpus plus large. Au-delà de cette complexité et de la pluralité des pratiques et des croyances, il est possible de dégager une unité et une cohérence autour du rôle de la connaissance et de l’initiation, du dualisme ontologique et anthropologique et surtout de la figure centrale de l’Imam, car « tout comme le christianisme est la religion du Christ, le shî‘isme peut être considéré avant tout comme celle de l’imam » (p. 15).

Il est le gardien et le contenu du Secret (sîrr, bâ?în) qui, selon la doctrine de la walâya, est cette voie mystérieuse de la déification possible de l’homme de Dieu. Ces chapitres aux thématiques variées trouvent cependant une unité dans la méthodologie même de l’auteur qui analyse les notions et les doctrines par un examen rigoureux des sources les plus anciennes de la foi shî‘ite avant qu’elles ne soient « contaminées » à partir de la seconde moitié du IVe/Xe siècle par le courant « thélogico-juridique rationnel ». La thèse qui découle de ces études revient finalement à soutenir l’idée selon laquelle « la distinction entre shî‘isme ‘‘modéré’’ et shî‘isme ‘‘extrémiste’’ semble artificielle en ce qui concerne cette période ancienne à moins que l’on considère les imams eux-mêmes comme ‘‘extrémistes’’ ce qui va à l’encontre de tout le corpus de leurs dits » (p. 169).

[1] Henri CORBIN, « De l’histoire des religions comme problème théologique », Monde non chrétien 51-52, 1960, p. 146.

Présentation par l’éditeur

Les croyances et les pratiques shi’ites restent encore peu connues. D’abord, parce que les études scientifiques du shi’isme, dans leur grande majorité, sont très récentes ; de plus, les spécialistes occidentaux ne dépassent pas la trentaine, auxquels il faudrait ajouter quelques savants shi’ites qui ne publient que dans la langue de l’Islam. Ce qui est très peu par rapport aux centaines de spécialistes du sunnisme qui étudient les différentes disciplines des domaines arabes et islamiques depuis plus d’un siècle et demi. Il y a ensuite les aléas de l’Histoire - et les rivalités idéologiques qui en résultent - dont une des conséquences majeures a été, à l’intérieur même du shi’isme, l’ostracisme appliqué aux pensées "déviantes" et la censure des textes jugés problématiques.

Enfin, la religion shi’ite elle-même, se définissant dans ses sources de base comme une doctrine fondamentalement ésotérique et initiatique, ne se révèle pas toujours facilement. Rien de plus normal dans ces conditions qu’une partie de l’enseignement religieux, sans doute celle jugée la plus essentielle, soit protégée par les règles qui régissent tout ésotérisme. Ces multiples raisons, extrinsèques aussi bien qu’intrinsèques au shi’isme, font de celui-ci une religion discrète et méconnue. Le présent ouvrage examine quelques aspects peu explorés de l’histoire et de la spiritualité shi’ite dans toute leur complexité. Dans la diversité de leurs manifestations, croyances et pratiques trouvent consistance et cohérence dans l’ambivalence de la figure de l’Imam, point de départ et aboutissement de la foi, dans le rôle déterminant de la connaissance et de l’initiation, dans le dualisme ontologique et anthropologique.
Biographie de l’auteur

Mohammad Ali Amir-Moezzi est directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes Etudes (Sorbonne), où il est titulaire de la chaire "Exégèse et théologie de l’islam shi’ite", et directeur adjoint du Centre d’Etude des Religions du Livre/Laboratoire d’Etudes sur les Monothéismes (CNRS-EPHE).
 

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