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Mission Mare Nostrum

15 juillet 2025 | resena
Mission Mare Nostrum

Auteur: Patrice Sabater

Hakim Bécheur, Mission Mare Nostrum. Éd. de l’Aube, 2024. 280 pages (17 €)

Un thriller politique efficace et engagé

L’auteur de ce thriller est médecin, Gastro-entérologue, et romancier primé (L’avant-centre de l’Étoile, Comar d’or 2020), Hakim Bécheur livre ici un roman dense, à mi-chemin entre l’enquête géopolitique et la fresque existentielle. Un premier polar à la fois haletant. C’est le livre d’un médecin engagé. En 2012, il avait publié une chronique engagée d'un Chef de Service hospitalier, dénonçant son quotidien de médecin et le devenir périlleux du système de santé français. Il sait prendre la parole et de la hauteur. Ce polar est une continuité dans son cheminement personnel, et dans sa part d’engagement dans la société des Hommes de ce Temps.

Le roman « Mission Mare Nostrum » est structuré en 24 chapitres pour 24 heures d’action. On ne perd pas son temps, et on vit selon la dynamique propre au thriller où tout doit prendre place dans un temps déterminé pour être efficace ; et le livre est efficace !!! Le rythme est rythmé par une tension continue, des trahisons et une quête identitaire déchirante. On y est présent comme si on suivait la série 24 heures chrono, avec des rebondissements soutenus et une mécanique de suspense bien huilée. Chaque chapitre apporte son lot de révélations, entretenant l’intérêt du lecteur jusqu’au dénouement. Il suit Jalel Tounsi, journaliste franco-tunisien, pris dans un piège où se mêlent espionnage, manipulation, trahison et dénonciation des réseaux de corruption liés aux flux migratoires en Méditerranée. L’auteur aborde frontalement des thématiques contemporaines – la crise migratoire, les compromissions entre États, l’instrumentalisation de la sécurité, la désillusion post-révolution en Tunisie – qui confèrent une profondeur politique marquée.

Jalel Tounsi, journaliste franco-tunisien lanceur d’alerte, est traversé de contradictions, entre devoir de vérité et instinct de survie.  Il devient une cible après avoir enquêté sur les réseaux de corruption liés à la gestion des flux migratoires entre l’Europe et l’Afrique du Nord. En vacances en Tunisie, il découvre, sidéré, un journal annonçant sa propre mort. Le duo qu’il forme avec Emma, espionne ambivalente infiltrée par la DGSE et fille de son ancien professeur devenu conspirateur, illustre cette tension morale. Les personnages secondaires, comme Fatma l’avocate engagée ou Chaouachi le fonctionnaire autoritaire, enrichissent la galerie avec des nuances psychologiques crédibles. La Tunisie n’est pas un simple décor mais un personnage à part entière. De la Médina de Tunis à l’hôpital La Rabta, Hakim Bécheur restitue avec justesse les tensions sociales, politiques et culturelles d’un pays en transition.

A force de vouloir couvrir trop de sujets (espionnage, critique sociale, trauma personnel, satire politique…) la lecture perd parfois en clarté. Le lecteur a du mal à se retrouver, et à suivre le fil de la pensée et des évènements. La complexité de la trame et la multiplicité des personnages secondaires peuvent désorienter. Si le début du roman est prometteur et bien rythmé, la tension s’étiole en cours de route, au profit de scènes explicatives ou introspectives qui ralentissent le tempo initial. Hakim Bécheur refuse de situer les événements dans une chronologie rigoureuse donnant au roman une portée universelle, et atténuant l’efficacité dramatique de certaines scènes. « Mission Mare Nostrum » est un roman dense, ambitieux, engagé. Il parvient à captiver le lecteur tout en l’invitant à réfléchir aux dérives sécuritaires, à l’héritage colonial et aux tensions identitaires en Méditerranée.

L’auteur le dit à l’envie, Mare Nostrum ne cherche pas seulement à raconter une histoire, mais à provoquer une conscience. Il explore les fractures post-révolutionnaires de la Tunisie, les ambiguïtés franco-tunisiennes et le désenchantement démocratique. La Méditerranée, à la fois mer de séparation et de mémoire, est omniprésente, comme une métaphore du tiraillement identitaire de Jalel et, au-delà, de tant d’exilés. Bien qu’il soit un thriller, il n’en reste pas moins un roman engagé dans notre histoire contemporain, et où la Mer Méditerranée nous parle pour diverses raisons heureuses, et souvent si dramatiques. Ce thriller politique nerveux et engagé s’inscrit dans les réalités troubles de la Méditerranée si belle et, qui est pourtant le premier « cimetière du Monde » ...

Un livre engagé, ambitieux, parfois foisonnant, et surtout très lucide sur les évènements. Il interroge les logiques de pouvoir, les illusions politiques, les blessures de l’histoire coloniale et les espoirs fracassés des « Printemps arabes ». Le roman mêle habilement espionnage, satire politique et drame intime. L’auteur, et néanmoins médecin, allie la forme du polar à une réflexion profonde sur l’éthique, l’appartenance et la mémoire. Le chemin démocratique et libre de la Tunisie, porteur des espoirs de ladite « Révolution du Jasmin » reste à faire.

Ce roman a figuré parmi les finalistes du Prix Méditerranéen du Polar 2025.

On prendra du plaisir cet été sous un arbre à lire ce thriller de la rive orientale de la Méditerranée qui nous fascine et nous attire tant… A lire, bien sûr !