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L’Église gréco-catholique ukrainienne

25 juin 2025 | resena
L’Église gréco-catholique ukrainienne

Auteur: Patrice Sabater

Anatolii Babynskyi, L'Eglise gréco-catholique d’Ukraine. Une brève histoire. Ed. Salvator, Paris 2025. 208 pages. (20 €)

Une brève histoire

 

L’Ukraine est plongée dans une actualité dramatique dont on ne voit pas la sortie par des gestes significatifs de paix. Les Editions Salvator présentent une synthèse de l’histoire d’une Eglise au cœur de ce conflit, qui a été également tiraillée dans son histoire entre l’Orthodoxie et son rapport avec l’Eglise latine dont le Siège est à Rome. Le livre d’Anatolii Babynskyi trace les lignes de cette histoire complexe méconnue par le public en Europe occidentale en 22 chapitres bien documentés.

L’auteur remonte aux origines du Christianisme dans la Rus’ de Kiev, et met en exergue des figures fondatrices comme Olha et Volodymyr. Pour comprendre la création de l’Église gréco-catholique il convient de la replacer dans le contexte des relations entre Constantinople, Rome et les réalités politiques locales. Après la chute de Constantinople en 1453, les Patriarches se trouvent devant un fait inédit, et se retrouvent sous l’autorité du souverain musulman. Ils doivent payer leur liberté religieuse ainsi que le droit de siéger comme Patriarche. Cette position, source de richesse mais aussi de conflits, est explorée dans ses dimensions spirituelles, culturelles et géopolitiques à cet endroit lorsque des évêques orthodoxes ukrainiens décidèrent de se placer sous l’autorité du Pape tout en conservant leurs rites orientaux. Les choix étaient devant eux, mais déjà autour du Concile de Trente les liens s’étaient noués et les deux entités chrétiennes rapprochées tandis que les dissensions internes au sein du Patriarcat de Constantinople perdurent. Les conditions préalables à au Synode de Brest-Litovsk (1596) s’orientent vers une union. L’Union de Brest, à partir de laquelle s’origine le choix d’un « chemin ensemble » avec Rome pour sortir de la crise interne et externe de la Métropole de Kiev. La particularité, assez moderne pour l’époque, c’est que l’Eglise pourra conserver les rites byzantins. L’évolution de l’Église gréco-catholique ukrainienne (EGCU) a été progressive, et la décision des autorités spirituelles patriarcales, motivée par des considérations politiques et religieuses, a creusé des tensions entre les puissances catholiques et orthodoxes, notamment la Pologne, la Russie tsariste et l’Empire austro-hongrois.

Tout au long de son histoire l’Ukraine, l’Église a contribué à forger une identité nationale proprement ukrainienne. L’Eglise doit se frayer un chemin, rester en alerte, audacieuse, intelligente pour pouvoir exister, et rester fidèle à ce qu’elle est et au peuple ukrainien. Son histoire est indissociable de ses voisins et des Etats qui l’entourent : Pologne, Empire austro-hongrois, Russie et Union soviétique. La persécution stalinienne et la clandestinité forcée (1946-1990) n’ont pas été des éléments à la marge puisque l’on a pu craindre que cette Eglise disparaisse en tout ou partie. Les défis de la renaissance post-soviétique ont été également un véritable enjeu, et un nouveau chemin à prendre. Cette position nationale nous permet de comprendre comment aujourd’hui au cœur des conflits actuels elle se situe. Les questions d’identité religieuse et nationale restent centrales, et la proximité avec l’Orthodoxie russe reste un lieu d’âpres difficultés.

L’auteur explique comment l’Eglise gréco-catholique d’Ukraine (ECGU) a traversé ces périodes troublées avec des hauts et des bas subissant des persécutions ; et notamment à la période contemporaine sous le régime soviétique, où elle fut interdite et contrainte à la clandestinité jusqu’à sa résurgence dans les années 1990. La construction d’une identité nationale, son rapprochement avec Rome, les conflits armés qui ont jalonnés son histoire depuis le XVème siècle n’ont pas été très faciles.

Anatolii Babynskyi, historien des religions, nous offre une histoire originale d’une Église sujette aux aléas des nombreux remodelages de frontières étatiques, mettant en évidence la manière dont les événements politiques ont façonné son développement, il souligne également la destinée héroïque de la communauté gréco-catholique ukrainienne.

Anatolii Babynskyi, dans ce portrait rapide de l’Eglise d’Ukraine, termine son ouvrage par l’histoire récente du pays à laquelle l’Eglise est engagée de près ou de loin ; mais toujours en étroit contact : les mouvements pro-européens de Maïdan, la guerre avec la Russie déclenchée en 2022, les débats autour de la diplomatie du Saint-Siège. Il souligne avec force la résilience de cette Église minoritaire (12 % des Ukrainiens), qui n’a cessé de jouer un rôle spirituel et national de premier plan. Il n’oublie pas de brosser le portrait de quelques figures clés comme saint Josaphat ou le Cardinal Lubomyr Husar.

La « révolution orange » qu'a connue l'Ukraine en novembre-décembre 2004 a été une révolution pacifique. Bien que systématiquement divisés par le pouvoir, les médias et les manuels d'histoire depuis l'indépendance en 1991, des jeunes Ukrainiens russophones et ukrainophones, de confession gréco-catholique ou orthodoxe, venant de Galicie ou du Donbass, ont fraternisé sur la place de l'Indépendance à Kiev. Le cardinal Lubomyr Husar avait pressenti très tôt cette révolution de l'esprit.

Le Cardinal Lubomyr Husar était l’une des figures de l’Église grecque-catholique ukrainienne. Il avait notamment accompagné la renaissance de l’Église grecque-catholique, à la suite des actions menées par son prédécesseur le Cardinal Lubachivsky qui était retourné à Lviv (Ukraine), le 30 mars 1991. C’est notamment sous l’épiscopat du Cardinal Husar que le siège primatial de l’Église grecque-catholique avait transféré, en 2005, à Kiev. Il devient, le 25 janvier 2001, le premier Archevêque majeur de Kiev et de toute la Galicie. Le 25 mars 2011 il est remplacé par Mgr Sviatoslav Schevchuk. Il avait été, lui-même consacré évêque le 2 avril 1977 clandestinement par le Cardinal Josyf Slipyj, qui était Primat de l’Église grecque-catholique ukrainienne en exil.  On se souvient de la grande proximité qu’avait noué le Pape Jean-Paul II avec les Cardinaux ukrainiens. D’ailleurs, il créé ce dernier Cardinal lors du Consistoire du 21 février 2001. Le Cardinal Husar avait suivi avec intérêt la « Révolution orange » en novembre-décembre 2004, et la considérait comme une « révolution de l’esprit ». Depuis la visite du pape Jean-Paul II en Ukraine, il n’avait cessé de reprendre l’expression du Pape en s’adressant à la jeunesse d’Ukraine : « N’ayez pas peur ! ». Au premier jour de la révolution, il descendit dans la rue pour célébrer publiquement un Office aux côtés de ses frères orthodoxes. Il défendit ses concitoyens en rappelant publiquement que « l'Homme est l'image de Dieu ».

Aujourd’hui, c’est le Père Mykola Bytchok, né le 13 février 1980 à Ternopil, qui a été créé Cardinal le 7 décembre 2024 par le Pape François. Il vient de participer au dernier Conclave, et de ce fait a participé à l’élection du Pape François.

Le lecteur découvrira au travers de ce livre une synthèse claire de l’évolution d’une Église méconnue ; et dont on parle peu en Europe. Ce livre est nécessaire pour comprendre l’histoire religieuse et politique de l’Ukraine dramatiquement plongée dans l’effroi du conflit armé actuel.