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Israël-Gaza. La conscience juive à l’épreuve des massacres

27 mai 2025 | resena
Israël-Gaza. La conscience juive à l’épreuve des massacres

Auteur: Patrice Sabater

Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias, Israël-Gaza. La conscience juive à l’épreuve des massacres. Ed. Textuel, Paris 2024. 78 pages. 12,90 €

D’une parole qui s’interdit de dire à l’urgence d’une parole sur les massacres à Gaza et en Israël
 

Israël s’est révélé impuissant pour prévenir et défendre sa population. Voilà qui est posé.

Un ouvrage d’un couple d’intellectuels juifs de gauche s’adresse à la conscience, à la mémoire, à l’humanisme et au cœur de chacun d’entre nous Juifs ou non, Arabes ou non… à chaque Homme de (vraiment) bonne volonté. 

« Le 7 octobre rouvrait les cicatrices d’une histoire de persécutions qu’on avait à tort, imaginées refermées ». La déflagration que fut l’évènement sanglant du 7 octobre 2023 (1 200 personnes tuées et 222 otages), les assauts guerriers sur la Bande de Gaza par Israël, la réalité tragique que vit aujourd’hui le Peuple gazaoui, et la faillite antidémocratique du Gouvernement de Benjamin Netanyahou a contaminé la France, la plupart des pays occidentaux ; mais pas seulement. L’Espagne est devenue le leader incontesté en Europe d’une position politique et « humaniste » pour que l’arrêt de cette tragédie cesse, et pour que les otages du Hamas soient enfin libérés. Le Gouvernement de Pedro Sanchez se refuse de voir dans les ministres extrémistes Ben-Gvir et Smotrich, représentants du courant fasciste, des modèles portant les « valeurs occidentales » et de la bien-pensance. Toute critique d’Israël et du mouvement colonialiste semble être prohibé et réprimé tant dans les discours en Europe qu’en Israël même. 

La juste évocation est devenue synonyme de destruction d’Israël, d’antisionisme et d’antisémitisme... ; et voire d’antijudaïsme. En France, on a tout de suite instrumentalisé le conflit israélo-palestinien en mélangeant, en faisant des raccourcis, en adoptant des raccourcis saisissants ; et mettant dos à dos Juifs et Musulmans. « Nous, Juifs de gauche, avons été en quelque sorte abandonnés par la gauche dite radicale. Nous nous sommes retrouvés coincés, pris dans un piège. Probablement les musulmans aussi. Tout le monde est piégé ».

Dès le lendemain de l’attaque du Hamas un récit s’est imposé dans l’espace public. Les médias et certains groupes influents ont pu laisser croire que le conflit entre les belligérants datait du « 7 octobre ». Il n’en n’est rien. « La population israélienne, encore sous le coup du traumatisme, a largement approuvé les attaques de l’armée » malgré la réaction disproportionnée d’Israël. 

Dans une Tribune récente dans le Journal « Le Monde », les deux auteurs estiment que de se te taire aujourd’hui « devant le massacre des Gazaouis, c’est concourir à la faillite du sionisme et de l’humanisme parmi les juifs ». Par effet de ricochets, « à faire l’impasse sur la montée irrépressible de la peur des juifs de France, pouvions-nous nous aveugler en 2023, comme au début des années 2000, pendant la Seconde Intifada, sur la réalité de cette peur ? » Car la peur est un fait têtu, pas juste un « ressenti » sans cause. Cela étant, le déclenchement de la riposte israélienne à l’attaque terroriste du Hamas, sa démesure, sa durée, ses effets dévastateurs sur la population, notamment civile, de Gaza avait de quoi susciter la colère et le désespoir de tous les amis sincères de la cause palestinienne ». (pp 13-14)

Cependant, le couple ne rejoint pas les prises de position « inconditionnellement pro-israéliennes de la droite française », ni celle de « segments de la Gauche radicale » préférant le retrait avant d’accepter de parler pour « recontextualiser, c’est-à-dire inscrire ces événements dans l’épaisseur d’une trajectoire historique longue (…) pour comprendre comment on a pu en arriver là, et d’autre part pour prendre la distance nécessaire. Si on n’a pas une idée claire de ce qu’a pu être l’histoire du sionisme – et c’est une histoire complexe, contradictoire, parcourue de multiples tensions –, on ne peut pas appréhender ce qui est arrivé, y compris ce jour-là. Le sionisme n’est pas né en un jour, il s’est transformé, il s’est divisé… Il fallait que tout cela soit rappelé aussi clairement que possible, mais sans simplification outrancière. Tout n’avait pas commencé le 7 octobre. Nous sommes partis de la fin du XIXe siècle en montrant comment, à différents moments de l’histoire du sionisme, puis de la création et du développement de l’État d’Israël, les choses ont pu changer, évoluer, se durcir ».

Qu’est-ce à dire ? Ils reviennent sur « des » traumatismes, celle « des » sionismes brièvement pour expliciter la complexité historique, pointer ce qu’est le mouvement d’émancipation nationale « progressivement dégradé en un ultranationalisme ethno-religieux exclusiviste », abordant également la résistance palestinienne. Ils évoquent le Premier ministre israélien pour qui la population civile de Gaza « ne compte pour rien », et pas plus en vérité le sort des otages israéliens. L’entraînement d’une chose en appelle une autre sur les Juifs de la diaspora : « Nous savons désormais que, loin de les protéger, l’État d’Israël peut au contraire les mettre en danger en les associant malgré eux, aux yeux du monde, à la folle politique de ses dirigeants. » 

Les mots « terrorisme » et « antisémitisme » sature nos écrans, les colonnes des journaux, et s’invitent au quotidien dans les conversations et les accrochages dans certaines manifestations ou dans les propos des uns et des autres. Chacun marque son territoire et se poste sur des positions nettement peu conciliables. On aura pu avoir le net sentiment qu’une certaine partie de la Gauche a nié le caractère terroriste de l’attaque du Hamas. Toute parole aujourd’hui est confisquée, et tout de suite taxée soit « d’antisémite » soit « d’anti musulmane ». Rappelons que parmi les Palestiniens, on trouve aussi une communauté chrétienne qui tente de vivre au cœur de cette situation si tragique.

Il est néanmoins juste et utile de rappeler des faits historiques et documentés pour affirmer le caractère colonial de ce conflit qui perdure, et qui creuse à la fois une victimisation mortifère des deux côtés et créé des « storytelling » au bénéfice des Israéliens ou des Palestiniens. Pour autant, faut-il inhiber toute personne ou tout discours qui tendrait à rappeler avec raison l’instrumentalisation du Hamas par la Droite israélienne dans les années 1990, sa complicité avec le mouvement islamiste pour s’affranchir d’une vraie volonté d’aller vers une résolution de ce conflit en sabordant les négociations, et évincer le Fatah de Yasser Arafat de Gaza et du Mouvement palestinien ? Dans un livre récent Enzo Traverso émet l’idée que « ce ne sont pas les décennies de répression des Palestiniens qui sont derrière l’attentat du 7 octobre mais plutôt l’antisémitisme ancestral, la haine éternelle et inguérissable des juifs. »

Le rappel a aussi son importance, car depuis 2007, selon le sociologue Baruch Kimmerling. « Gaza était devenu le plus grand camp de concentration de l’histoire ». La Nakba du peuple palestinien eut pour conséquence de chasser de leurs terres plus de 800 000 Palestiniens en 1948. En 1980, l’annexion de Jérusalem, a ravivé les tensions. 500 000 colons ses ont appropriés des terres palestiniennes, au nom d’une lecture mystique de l’Histoire du Peuple hébreu. La mémoire serait-elle sélective ? « Les colons d’aujourd’hui jugent qu’occuper la terre est le cœur du projet sioniste. Ce sont eux qui prétendent désormais faire prospérer cette terre et étendre Israël jusqu’au Jourdain voir bien au-delà. Ces ultrareligieux, qui gouvernent avec Netanyahou, viennent de mouvances messianiques et anti-arabes primaires. Leur désir profond, et souvent explicite, est la disparition des Palestiniens. On voit combien le sionisme a évolué. Le sionisme d’un Herzl, qui ne connaissait rien à la religion juive, est mort. Pour ce nouveau sionisme, ces terres appartiennent de toute éternité aux juifs. Et Dieu est avec eux ».

Les historiens du Judaïsme Jean-Christophe Attias et Esther Benbassa ont toujours défendu la cause palestinienne. Ils constatent que les dirigeants israéliens sont en grande partie responsables de la montée de l’antisémitisme faisant du Judaïsme « la justification ultime d’un massacre ». Les auteurs du livre « Israël-Gaza. La conscience juive à l’épreuve des massacres » soulignent que, « loin de protéger (les juifs) l’État d’Israël peut au contraire les mettre en danger ». Ils analysent avec perspicacité et justesse cette situation criante tiraillés entre les horreurs Hamas, la tragédie faite aux Palestiniens, leur éthique personnelle et leur vision démocratique et éthique de la société israélienne. Ils sont le sentiment d’« abandon » d’une partie de la Gauche qui refuse de reconnaître la souffrance et la peur légitime des Juifs, et qui parfois « fleurte » avec des comportements ou des propos antisémites.

Le Président Isaac Herzog, dans une intervention du 12 octobre réagissait en estimant que c’était « toute une nation qui est responsable ». Israël savait ce qu’il faisait, et pour le Gouvernement il n’y avait ni innocents ou coupables mais tout un peuple qui devait rendre des comptes parce que directement ou indirectement lié à ce qui était advenu. Pour l’action armée et les massacres perpétrés le Ministre de la Défense, Yoav Gallant, a proféré des paroles stupéfiantes en parlant d’« animaux humains » soulignant ainsi la complète « déshumanisation » de ceux qui sont en face sans la moindre de sentiment pour la souffrance de femmes et d’enfants ; et aujourd’hui les abandonnant à leur sort soit par la mort soit par la famine. Les hôpitaux, les dispensaires, les écoles, les Centres culturels, pouvaient dès lors être anéantis. Empêchés ordinairement et de façon continue, les ONG n’ont pu rentrer dans l’enclave. Sans nourriture, sans purificateurs d’eau, sans eau potable, sans médicaments, sans soins le Peuple palestinien est livré à lui-même, et tout était possible. On recense aujourd’hui des dizaines de milliers de morts palestiniens innocents, tandis que les otages ne sont toujours pas libérés… Les humanitaires et les journalistes ont été également froidement abattus. Dans ces conditions, Tsahal n’aurait de comptes à rendre ni aux instances du Droit international ni à la Presse, et ni à l’opinion publique israélienne et internationale ; d’où la chape de plomb et l’interdiction aux journalistes occidentaux de pénétrer dans la Bande de Gaza. Le but est sans équivoque : contrôler l’information, minorer les faits, et justifier la traque et l’anéantissement des assassins islamistes.

« Il aura fallu que les Gazaouis soient réduits à la famine, que les ultrareligieux et les ultranationalistes du Gouvernement Nétanyahou appellent à la déportation de ces derniers, et que la conquête et l’occupation de Gaza soient désormais affichées comme leur objectif officiel, pour que certains médias français, étrangement prudents jusqu’ici, commencent à desserrer l’étau du silence. En Israël, c’est encore loin d’être le cas. La plupart des Israéliens continuent de vivre dans l’indifférence, se plaignent de la hausse des prix et pleurent les soldats tombés sur les champs de bataille d’une guerre qui semble ne devoir jamais finir » (…).

Esther Benbassa revient sur l’ambiguïté d’une expression au sujet d’une Palestine libre « du fleuve à la mer ». « S’agit-il de rassembler Juifs et Arabes vivant entre Jourdain et Méditerranée dans un seul et même État palestinien laïc en invisibilisant les premiers ? D’intégrer les Israéliens juifs à une structure étatique nouvelle, fédérale et binationale ? Ou d’éradiquer purement et simplement l’État d’Israël et de chasser les habitants juifs du pays ? Tout cela ne se vaut pas. Il y a bien un antisionisme qui relève de l’antisémitisme. Celui qui aspire à la destruction pure et simple d’Israël, et qui prône, au mieux, la « remigration » des Juifs qui y vivent ».

L’avenir d’Israël ne semble pas très ouvert, et sans doute que Benjamin Netanyahou pourrait bénéficier malgré tout d’un vote en sa faveur malgré la contestation grandissante déjà en route avant le « 7 octobre ». L’engagement suprémaciste, proche des religieux, clivant, extrême ne changera pas. Le processus de paix et de normalisation étant arrêté, il est fort à parier qu’il le reste. Se joue également l’avenir de la présence du peuple palestinien, et de la paix future. Les massacres d’aujourd’hui engendreront très certainement des « retours » violents tôt ou tard ; et même si le Hamas est éradiqué de Gaza. Les regards doivent aussi se porter sur la Cisjordanie… 

Jean-Christophe Attias réitère une réalité sans détours : « Le peuple palestinien n’a pas disparu, il a toujours des droits et ce ne sont pas les bombes qui vont les faire disparaître, ni l’exigence de ce peuple de voir ses droits reconnus et le préjudice réparé. Ils risquent d’être, une fois de plus, les grands sacrifiés de la séquence. Et si les choses se calment, c’est cela aussi qu’il faut garder en tête : le calme n’a jamais été favorable aux Palestiniens. On les oublie immédiatement. Ce qui est terrifiant, c’est que pour que la question palestinienne revienne au premier plan, il faut des catastrophes ». Et, Esther Benbassa d’ajouter : « Il ne reste pas beaucoup de place aux Palestiniens. Le niveau de haine est tel qu’on ne peut pas faire grand-chose, mais il faut au moins, et d’urgence, signer un cessez-le-feu. Pour sauver des vies et pour y voir un peu plus clair. Ce n’est pas avec les bombes qu’on va élaborer un discours rationnel ».

Le mot de la fin… provisoire à un Palestinien de Gaza devant les bombardements :

« Je ne veux plus la guerre. Je veux la paix. ». N’y aurait-il donc personne pour l’entendre ?