Gaza. Mort, vie, espoir

Auteur: Patrice Sabater
Collectif (*). Gaza. Mort, vie, espoir. Ed. Riveneuve, Paris 2025. 230 pages (20 €) (*Béatrice Orès, Sarah Katz, Brigitte Challande, Mutasem Eleiwa dit Abu Amir, Pierre Stambul, Kamel Elias)
En 2017, Brigitte Challande, Véronique Hollebecque, Sarah Katz, Franck Mérat, Pierre Stambul, Annie Vera avaient publiés aux Editions Riveneuve un premier livre (Gens de Gaza. Vivre dans l’enfermement). Il avait eu à son époque un écho certain. En 2025, un autre livre, chez le même Editeur, nous informe de la situation au quotidien à Gaza à partir de rencontres et de témoignages entre 2011 et 2016. Les auteurs resituent la Bande de Gaza au cœur du Proche-Orient, de l’Antiquité et de l’Histoire. Il vient apporter une pièce de plus à l’actuelle exposition présentée par l’Institut du Monde Arabe (Paris) soulignant l’incroyable richesse de ces lieux.
L’Homme, à Gaza jusqu’au 7 octobre 2023 a appris à survivre depuis sa naissance dans un espace très resserré d’environ 360 km2. La population qui ne cesse d’augmenter doit affronter de graves pénuries concrètement ordonnées et planifiées par l’Etat d’Israël. L’horizon professionnel, éducatif et humain est aussi limité que celui qui compte les rares arpents de terre. Le Gazaoui vivait au jour le jour avec mille choses traversant son esprit : les rêves, les désirs, la soif de liberté, de travailler, d’étudier et de voyager. Mais que faire dans cette prison à ciel ouvert ? Le jeune se lève le matin, déjeune, puis prend le repas de midi, dîne, et se couche comme hier… sans que les choses aient changé pour lui, comme ce fut le cas pour son père, son grand-père, et peut-être son arrière-grand-père ! 66% de la population a moins de 25 ans. « Ici à Gaza, on est condamné à se taper soit contre les autres, soit contre les murs ». Quel programme !
A chaque moment, les avions, les drones ou les embarcations militaires les rappelaient à leur sort. Ils n’ont rien connu à part la guerre, la faim, les attentats, la violence et la « vengeance » qui ont le temps de mûrir. Une vraie cocotte-minute ! Dans ce contexte tendu où tout est rare et cher (gaz, essence, matériaux…), l’ONU tirait la sonnette d’alarme en 2015 (déjà !!!) en ce qui concernait l’eau. Les études sérieuses de l’époque établissaient le fait que ce territoire ne serait plus viable d’ici 2020…, étant donné que la nappe phréatique est gorgée d'eau de mer. L'eau, souvent saumâtre, est quasiment toujours salée lorsqu’elle coule du robinet domestique. Que dire aujourd’hui quand cela est devenu e une double réalité entre le fait que la Nature a repris ses droits, et que la situation actuelle a accentué gravement ce constat hydrique dans le quotidien des Gazaouis.
Jusqu’à cette date fatidique, les habitants de la Bande de Gaza ne survivaient qu’avec le soutien des dons des Nations Unies depuis soixante-dix ans. Au-delà et au cœur même de la résilience de ces Palestiniens qui se battent fièrement pour leurs droits, il y a aussi cette amertume qui ronge au jour le jour. Le regard qu’ils portaient sur eux-mêmes ; c’est-à-dire ce sentiment honteux d’être seulement des assistés ; et pourtant ils voudraient être des hommes devrait parler à notre humanité, aux pays riches, aux Occidentaux…, à Israël !
Le livre publié cette année reste un acte de résistance littéraire et politique, un cri à la fois lucide et profondément humain lancé depuis les ruines de Gaza et les cercles solidaires de France. C’est le fruit coordonné et militant à plusieurs voix porté par l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP). Les auteurs ne souhaitent pas parler comme d’autres livres de Gaza, mais avec Gaza. Deux voix s’entremêlent, celle des Gazaouis et des partenaires solidaires français engagés depuis de très nombreuses années dans ce soutien au quotidien. Les voix qui se répondent, et qui font écho, confèrent au livre une profondeur émouvante et prenante. Le livre agit comme un étant « un évènement politique » en soi, car il documente le massacre, mais aussi les gestes de survie, de dignité, et de vie, comme autant de formes de résistance.
La chronique n’est pas à distance puisqu’il s’agit de vivre au jour le jour, sur place la vie au travers des témoignages qui se voient et qui se sentent. Les témoignages sont aussi ceux qui sont envoyés quotidiennement depuis Gaza. Ils sont compilés dans la rubrique "Gaza Urgence Déplacé.e.s". Que sont-ils ? Comment agissent-ils sur le lecteur (ou comment ils devraient agir…). Ce sont des éléments documentés comme étant des récits qui soulignent un quotidien terrible, odieux et insoutenable : les morts, les destructions, la faim, mais aussi les ateliers de soutien psychologique, la rescolarisation improvisée, les distributions alimentaires — autant de preuves que la société civile palestinienne continue d’agir malgré tout. Malgré toute la résilience n’est pas morte, et l’envie de vivre et de montrer à celui qui le martyrise qu’il est encore vivant, et capable de se maintenir dans une volonté de Vie !!! Le fait même de cultiver des tomates ou de respirer devient un acte de résistance. Le livre ne serait pas ce qu’il est sans la centralité tendre et engagée d’Abu Amir…
Si le livre se veut être un témoignage de ce qui est vécu sur place au jour le jour, il n’n n’est pas moins le moyen pour dénoncer les actes répréhensibles et terribles de déshumanisation systématique des Palestiniens. Le palestinien n’est plus un Homme, une Personne… Il n’est plus rien. Il est réduit à rien puisqu’on peut tuer homme, femme, enfant, nouveau-né, vieillard… sans que la Communauté internationale puisse arrêter le massacre. L’ouvrage met en cause les responsabilités le Gouvernement israélien de Benjamin Netanyahou et de ses soutiens extrémistes. Il montre également du doigt les gouvernements occidentaux qui laissent faire, armant et soutenant un régime qu’il qualifie de colonial. La France, qui parle à temps et à contretemps poursuit son commerce d’armes avec Israël au même moment où le Président Emmanuel Macron tergiverse pour savoir s’il doit reconnaître l’Etat de Palestine ou non. L’Espagne n’a pas eu autant d’état d’âme depuis le début de ce conflit… Pierre Stambul, en tant que juif, et Porte-parole de l’UJFP, présente ce qui déconstruit. Il met aussi en exergue l’amalgame entre antisionisme et antisémitisme. De Gaza, on ne connaît que les tensions politiques entre Fatah et Hamas, les bombardements, les accrochages, la représentation politique très diversifiée, et on connait moins les chrétiens qui y vivent. Le livre « Gaza. Mort, vie, espoir » redonne une image plurielle et méconnue de la société gazaouie, souvent réduite aux stéréotypes. Ces derniers, que ce soit en Israël comme en Occidentaux, sont bien ancrés dans l’imaginaire ; et ils sont si bien intégrés que l’on ne peut imaginer autre… Rappelons-nous les liens au quotidien que maintenaient avec la Paroisse catholique de Gaza le Pape Jean-Paul II, ceux de l’ancien Patriarche Michel Sabbah, du Père Manuel Mussallam ; et de la société civile en générale. Ils sont aussi des artistes, des inventeurs, des créateurs…, des rêveurs malgré l’effroi, la peur, la faim et la maladie !
Ce livre porté par les Editions Riveneuve se veut être un outil de mémoire et un appel à la mobilisation. C’est un outil de « militance » pour parler, pour partager, pour témoigner, et pour que le Droit international agisse concrètement. L’ONU est empêtré et la Communauté internationale est incapable d’arrêter la folie d’un homme, d’un courant et de génocidaires accomplis. Les auteurs refusent l’oubli, le silence et l’indifférence. Le livre nous invite à ne pas regarder ailleurs. Sarah Katz le dit avec ses mots ; et ils sont si vrais… Que l’on ne dise pas un jour : « On ne savait pas ». Ce fut le cas avant la Guerre d’Espagne et à la veille de la Seconde Guerre mondiale où l’on regarder ailleurs… Ce Collectif solidaire et engagé, d’hommes et de femmes, interpelle chacun d’entre nous. Les pages du livre interrogent la conscience de chacun. Ce plaidoyer pose une question fondamentale : Que reste-t-il de notre humanité si nous restons spectateurs d’un génocide ?
A la lecture des cinq chapitres de ce livre, le lecteur sera certainement touché par les témoignages, par la résilience de ces Palestiniens qui ne désespèrent pas mal gré le sentiment d’abandon à leurs propres forces. Le lecteur pourra être bousculé et bouleversé. Cependant, là n’est pas le propos de ce livre qui souhaiterait non seulement informer mais faire partager et participer à l’espérance même dans l’épaisseur de la noirceur. L’espérance est toujours possible.
Puisse cette contribution nous aider à être plus à l’écoute sans être pris par la désinformation, plus solidaires et inventifs pour que la vérité se dise et pour que le Droit soit respecté… pour que les Droits de l’Homme – droit aux soins, à la nourriture, à la santé, à la protection, et à l’éducation – soient respectés pour les Palestiniens de Gaza… ; et pour que des voix se lèvent contre l’injustice. Un livre à lire, et qui ne peut rester sur sa table de chevet ou dans sa bibliothèque mais être mis entre toutes les mains. « La défaite de la Palestine, ce serait une défaite de l’humanité ». (p 16). C’est l’Humanité et l’Histoire qui nous jugeront ; et ce livre y apporte sa contribution pleinement.