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Gaza : Comment transmettre le patrimoine

25 juin 2025 | resena
Gaza : Comment transmettre le patrimoine

Auteur: Patrice Sabater

René Elter (sous la dir. Collectif). Gaza : Comment transmettre le patrimoine. Préfacé par Mounir Anastas. Éditions Riveneuve, Paris 2025 (25 €)

Sous la direction de René Elter

Préface par Mounir Anastas

Dans le contexte actuel l’ouvrage publié par les Éditions RIVENEUVE, sous la direction de René Elter, répond à une nécessité brûlante : documenter et transmettre la mémoire d’un patrimoine en péril, dans un contexte de guerre quasi-permanente. « La question du patrimoine, de sa conservation et de sa protection est au cœur des enjeux de notre siècle. S’il en faut plusieurs à des objets, des lieux et des pratiques pour constituer un patrimoine au travers de l’action de l’Homme, une seconde suffit néanmoins à en effacer la trace matérielle aujourd’hui » (Marion Lauréat, p 25). 

L’expertise archéologique est souvent monopolisée par des institutions éloignées du terrain ; or ce projet s’en démarque volontiers puisqu’il met en contact des populations à faire de la mémoire un outil de survie.

À la croisée de l’archéologie de terrain, de l’éducation populaire et de l’action humanitaire, le projet rapporté, ici, fait l’objet d’un retour d’expériences reproductibles dans d’autres zones de conflit (Irak, Syrie, Soudan, Lybie, Liban…). Une quinzaine de contributions pluridisciplinaires (archéologues, restaurateurs, architectes, anthropologues). Il s’inscrit suite aux évènements du 7 octobre 2023, qui ont a accéléré la nécessité de transmission de la mémoire, de l’histoire et de la recherche archéologique. Cependant, l’urgence de la préservation patrimoniale n’a pas attendu ce moment tragique pour être un acte de résistance culturelle sur ce bout de terre, qui pour beaucoup ne relève pas de la Culture. Ce livre à l’approche pluridisciplinaire se voudrait être une référence sur la transmission du patrimoine en zones de conflit. Ce champ est encore trop peu documenté. L’ouvrage repose sur l’étude de deux sites majeurs menacés de destruction et de disparition : le monastère de saint-Hilarion (inscrit depuis juillet 2024 au Patrimoine mondial de l’Humanité par l’UNESCO), et l’église byzantine de Jabalyah. Les deux monuments démontrent bien que parler de Gaza ce n’est pas seulement parler de l’Islam mais aussi du Christianisme. C’est aussi oublier qu’on y trouve aussi des lieux hébraïques (synagogue…). 

Une quinzaine d’experts internationaux (archéologues, architectes, anthropologues, restaurateurs, psychologues…) participent à l’élaboration de ce livre croisant la rigueur scientifique et l’approche humaine sur une terre dévastée par les bombes et la faim. Le document présente un projet de sauvegarde patrimoniale qui pour nom « Intiqal », mais aussi comme un levier de développement socio-économique local. Le projet a été initié en 2017 par l’ONG Première Urgence Internationale, centrée sur la préservation du patrimoine archéologique de Gaza. Cette « initiative Intiqal se concentre non seulement sur la sauvegarde des sites historiques, mais aussi sur la sensibilisation des communautés locales quant à l’importance de la protection de leur propre héritage au travers de projets de restauration, de documentation, d’éducation et de partenariats internationaux » (Mounir Anastas, p 14).

Le livre reflétant les activités de ce programme met en lumière comment des jeunes Palestiniens ont été formés aux métiers du patrimoine, combinant sauvegarde culturelle et développement socioéconomique. Donne une voix aux « oubliés » de ces lieux à travers le prisme de la Culture, à ceux que l’on a mis à la marge ou que l’on a enfermés dans une catégorie. Non seulement on notera une valorisation de la jeunesse locale, mais aussi du rôle des femmes ; par exemple, Asma qui est la première archéologue de Gaza. Des figures et des témoignages forts apportant le trait humanitaire et social nécessaires à l’entreprise ; ceux de Fadel Al-Otol, archéologue autodidacte formé sur le terrain, ou Maxime Santiago, spécialiste des reconstitutions 3D. Ces témoignages incarnent la résilience, la passion et la dignité d’un peuple qui, face à la guerre, choisit la transmission.

Il est légitime de dénoncer les usages politiques de l’archéologie (qu’ils soient sionistes, antisionistes ou religieux). Mais il conviendrait de distinguer la critique méthodologique (scientifique) de la négation identitaire (idéologique). L’archéologie dans cette partie du Monde est inévitablement « infiltrée » par des logiques idéologiques altérant souvent l’objectivité et l’interprétation des découvertes. L’archéologie est éminemment politique en Israël/Palestine ; et notamment dans des lieux symboliques. Le soupçon d’idéologie empêche-t-il toute autonomie scientifique ? L’archéologie, en zone de conflit, est rarement neutre. Là, n’est pas réellement le projet du programme Intiqal (arabe pour « transmission »). L’archéologie moderne est plurielle dans ses approches « bibliques », « minimalistes », et/ou « contextuelles » au cœur d’un champ de recherche complexe. Il est bon de La confrontation des hypothèses. La science progresse par le doute, les convictions, la volonté de protéger « un hier » pour vivre un « aujourd’hui » et préparer l’avenir au cœur de la vie des Hommes de la Bande Gaza et au-delà de la posture identitaire.

La qualité visuelle est indéniable. Illustré avec plus de 300 photos couleur. L’esthétique de la mise en page valorise le contenu tout en rendant accessible la complexité. Un ouvrage ancré dans le réel pose un geste politique en sauvant le patrimoine palestinien assumant un ton engagé, et militant. L’acte que ce Programme opère, a une valeur symbolique puisqu’il s’agit de sauver une mémoire, une histoire plurimillénaire ; et en définitive c’est simplement sauver une partie de l’humanité et c’est aussi sauver l’avenir. Il y a là un véritable message éthique. Le patrimoine est donc un enjeu de survie et de dignité collective dans la Bande de Gaza complètement bouleversée et déracinée de ses fondations historiques et mémorielles. Le Programme Intiqal favorise un questionnement pertinent sur les liens entre savoir et usage politique, notamment dans le cadre du conflit israélo-palestinien. L’ouvrage est une nouvelle approche du patrimoine comme levier de résilience et de paix. « Le livre devient un outil de mémoire, de formation et de résilience ». On ne peut qu’être touché par la lecture de ce qui se vit sur le terrain au milieu des fouilles et des travaux de sauvegarde dans ce contexte de grande tensions tragiques. La mémoire est constitutive d’un peuple. C’est ce qui le fait exister au travers de son passé, et qui lui donne de regarder vers l’avenir. L’action est scientifique et citoyenne tout à la fois, et souhaiterait protéger une identité et l’avenir d’un peuple toujours présent… : le tout est de savoir jusqu’à quand ? À lire !