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Bons baisers de Tanger

15 juillet 2025 | resena
Bons baisers de Tanger

Auteur: Patrice Sabater

Melvina MESTRE, Bons baisers de Tanger. Ed. Points. Coll. Policier. Paris, avril 2025. 240 pages. (12,90 €)

L’autrice est née au Maroc, et arrive de Casablanca en France à 17 ans. La nostalgie la ramène au royaume chérifien. Au début, elle a voulu écrire sur Casablanca et Essaouira/Mogador. Puis, avec le deuxième livre elle part à Marrakech, pour nous ouvrir aujourd’hui aux dimensions du Rif avec Tanger.

Avant les Années 1950, il n’y a pas meilleur endroit pour des Collabos ou des membres de la pègre marseillaise pour se faire oublier. Tanger, une ville où la contrebande, les espions de tous bords, les collabos, des malfrats, des personnalités, des amoureux des plaisirs de la nuit et des corps se mélangent et se côtoient à l’envie. La communauté y est plurielle et internationale. Tanger est une zone franche, internationale où tout se mélange. Les fêtes nocturnes sont l’endroit idéal pour se mélanger entre milieux très différents, et dont les mœurs sont parfois licencieuses. Tanger, la nuit !!! Paradis des gays net des rencontres sensuelles… L’affaire du « Combinatie » remonte à la surface. Une histoire qui a marqué la pègre marseillaise dans ces années-là.

Gabrielle est l’héroïne. Le style est, comme elle, enlevé. Gabrielle Kaplan, est donc cette héroïne singulière qui incarne une forme de féminité indépendante et subtile. Son personnage est marqué par son hyperosmie (odorat surdéveloppé) qui devient un outil d’enquête à part entière. Une femme détective au cœur d’un polar historique très documenté et nourri, qui est à la fois un roman d’espionnage. Nous nous situons quatre ans avant l’indépendance. On sent au travers des pages un frémissement. Le Maroc se modernise, et en même temps ce sont les prémices de la Guerre froide. Gabrielle Kaplan est audacieuse, pétillante, intuitive. Elle aime dénouer les fils, les intrigues, mais elle reste un être fragile pleine d’hésitations et de doutes. Elle se trompe parfois ; et ce qui nous la rend proche. Elle a envie d’en découdre avec les Collabos’. Elle est flamboyante, indomptable et indépendante. A ses côtés, on découvre Brahim (un ancien de l’AFM), qui l’aide pour les missions dangereuses, et où les femmes ne « passent pas ». Brahim est un pro-indépendantiste. Il a le goût de l’aventure, de l’action. Il quitte l’Armée pour ne pas aller combattre en Indochine ceux-là mêmes qui se battent -comme lui – pour l’Indépendance. Elle sait se dissimuler et se faufiler partout. Elle se déguise en Dame patronnesse. C’est un rôle de composition qu’elle joue à merveille. Elle passe pour une « sossote ». Dans le roman, elle se fait appeler « Jacqueline ». Puis, on découvre Yvonne, journaliste et amie de Gabrielle, et aussi « ses penchants », et en filigrane Jeff. Il est aviateur, pilote et pas mal absent pour un amoureux… La situation ne la dérange pas. On est un peu replongé dans OSS 117.

Le livre fait référence à « Bons baisers de Russie », et tout de suite on le range dans la catégorie des livres d’espionnage. On y parle de la France collaborationniste. Au fil des pages nous côtoyons « Carbone » et « Manouche » qui travaillent beaucoup avec les Agents de la Collaboration. « Manouche » est gouailleuse, fêtarde, familière, grande gueule et portée sur l’alcool. Et puis, il y a ces personnalités troubles de la période Tino Rossi, Fernandel, Coco Chanel, Arletty et Mistinguett ; dont « manouche » parle assez longuement dans ses Mémoires. L’autrice voulait que le personnage principal soit juive, et cela date déjà du premier livre. Elle lui a donné le nom de Kaplan ; ce qui du reste n’est pas très sépharade comme patronyme. Peut-être faut-il y voir là un clin d’œil à Hitchcock dans « Mort aux trousses ». Elle avoue qu’elle aurait aimée connaître le Maroc de l’époque, le mélange des communautés, vivre dans cette architecture mauresque du Rif, en face de la Grande bleue, fréquenter la « Librairie des colonnes » où de nombreux intellectuels et de célèbres écrivains se croisaient, participer à des fêtes grandioses et délirantes. Vivre dans cette ville où l’on peut se faire flinguer par d’autres espions ou par des truands sans comprendre ce qui vous arrive. Tanger, deuxième personnage ou deuxième héroïsme de ce livre enlevé. Un personnage à part entière dans une « ville d’affaires » qui vit en dehors de la vie politique française et des réalités indépendantistes au Maroc. Pourquoi on la prend pour jouer un rôle de « gourdasse » ? Un des Agents du SDEC l’approche pour lui proposer cette mission en échange d’une nationalité française car ses parents sont exilés. Ce sont des juifs de Thessalonique ; pourtant le patronyme Kaplan marque davantage une appartenance au judaïsme achkénaze !!! Les communautés collaborent entre elles depuis longtemps, mais en même temps à Tanger il n’y a jamais eu de Mellah.

Le dernier opus de Melvina MESTRE est un polar historique vibrant et haletant favorisé par une écriture et une lecture immersives, documentées et envoûtantes. Le roman séduit par son ambiance rétro. L’écriture est portée par un personnage principal marquant, et dans un Maroc des années 50 reconstitué avec talent qui allie élégamment suspense, pédagogie historique et portrait d’une femme forte. Le lecteur sera charmé autant pour l’intrigue que pour la reconstitution magistrale d’un Tanger disparu.