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Beyrouth ne pardonne pas

22 novembre 2019 | resena
Beyrouth ne pardonne pas

Auteur: Carol ZIADE AJAMI

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Le récent roman de Carol ZIADE AJAMI, Libanaise et doctorante en Lettres françaises, nous plonge au cœur du Liban multiconfessionnel. Un vivre-ensemble nécessaire, mais qui pourtant a bien souvent à s’imposer au gré des vents contraires qui traversent la région, et de quelques lois peu performantes. Y-aurait-il alors place pour un vécu possible au quotidien ? Le système issu de l’indépendance du Liban, que bon nombre de Libanais pensent aujourd’hui sclérosé, renforce à la fois le confessionnalisme et favorise l’inertie, la concentration du pouvoir aux mains de quelques-uns. La démographie, la migration des chrétiens et les changements géopolitiques favorisent les revendications de la part des certaines confessions ; principalement issues de l’islam. Les populations évoluent et les mœurs changent… Avec ce roman, nous nous situons justement au cœur de cet imbroglio confessionnel, mais aussi plongé dans ce pays qui reste « un message » et une espérance pour l’ensemble du Moyen-Orient.

 

            L'amour a une valeur universelle que l'on partage d’où que l’on vienne et de quelque confession que l’on soit. On fait des plans, on rêve sa vie, on met de l’argent de côté pour ce grand événement. On y croit. On l’espère et l’on l’attend avec fébrilité ; et puis voilà le jour arrive. On ne s’y attend pas… ou plus. On se rêve dans les yeux de l’autre, et on succombe. En fait, c’est l’histoire de Fabienne une jeune beyrouthine ambitieuse. Elle rêve sa vie, éprise de liberté et de besoin de se hisser dans la bonne société pour se prouver à elle-même, aux amies, mais surtout à sa mère qu’elle est capable. Les efforts, les privations et les aspirations de sa mère n’auront pas été en vain. « Il faut que tu brilles. Sans culture, nous ne sommes rien » (p 13) lui répète sa mère à longueur de journée. Cette femme s’était « efforçait (d’) inculquer, comme l’exigeait la tradition libanaise, l’attachement très profond au mari, aux enfants et à la maison conjugale, quoi qu’il arrive » (p 16) Et, voici qu’un jour Fabienne se décide à ouvrir la porte de sa petite cage domestique, de laisser son environnement et de s’échapper vers des lieux de liberté et d’épanouissement où elle pourra se réaliser comme jeune femme. Elle est prête à affronter le monde que lui propose Paris. La liberté en chantant, non ?!? Si le travail et la position sociale qu’il permet sont des vecteurs incontournables de sa vie nouvelle il n’en reste pas moins que le rêve le plus fou, le plus caché est celui de l’amour. Quand rencontrera-t-elle l’homme de sa vie qui lui fera perdre la tête, et qu’elle pourra présenter à sa mère, à sa famille et à ses amis de Beyrouth dans la perspective d’un beau et grand mariage ? Le mariage reste la norme dominante dans les sociétés moyen-orientales. C’est l’acte inaugural autour duquel une famille se construit. Cependant, la présence de mariages mixtes vient mettre en question sa fonction de reproduction des liens confessionnels et sociaux. Les aspirations des jeunes à un mariage mixte conduisent à la migration comme seul moyen d’échapper aux problèmes, à affronter au regard et à l'influence des autres et à une situation sans issue.

 

            « Trois mois lourds de solitude avant l’ouverture de la porte du paradis. Enfer ou paradis qu’importe puisqu’il était là ! Ecoute mon histoire » (p 23) Le 5 mars 1988, un homme élégant entre dans cette boutique chic et luxueuse des Champs Elysées. Un homme. Une silhouette, et surtout une voix donnant à cet homme un charisme fou. C’est le début d’une histoire d’amour belle et tumultueuse qui commence entre Fabienne et ce jeune médecin de l’hôpital Georges Pompidou. Si le nom qu’il prononce à la française ne retient pas l’attention de Fabienne en revanche c’est tout autre chose qui imprime sur elle le bonheur. Son physique ? Son charme ? Son élégance et ses manières belles et jolies ? La jeune demoiselle, en revanche remarque l’accent que l’on ne peut cacher et la langue maternelle que l’on ne peut taire. Il est Libanais. Bientôt elle apprendra que Victor Faqui est musulman… A partir de cet instant tout va s’enchaîner : l’amour, la passion, la volupté, les complicités quotidiennes, l’enfant qui vient et son insertion dans une communauté de foi, les pleurs et le silence grinçant de la mère de Fabienne, la colère et les méchancetés mesquines de la mère de Victor, la colère, la maladie, la mort. Rien ne semble plus tenir. « Depuis ce jour-là, je ne vis plus le sourire de ma mère qui connut la même éclipse que celle du soleil à Paris » (p 71) Le rêve s’est éteint, et il ne reste plus que la réalité crue d’un mariage d’amour qui finit par se détruire petit à petit. Le couple a préexisté au mariage, et son existence en tant que famille n’est confirmée qu’avec la naissance de leur premier enfant. Ce sera un combat. C’est à cet enfant que Fabienne s’adresse. Comprend-il ce qui arrive ? Le comprend-il vraiment ? Cet enfant est plongé au cœur de ce conflit qui n’est pas directement le sien. Il nous paraît, à nous Occidentaux, archaïque et d’un autre âge. Les problèmes surgissent contre toute attente. Ils sont dus à la coexistence de différents codes moraux et à leur évolution.

 

Les deux jeunes amoureux font le voyage au Liban au moment du Ramadan. Victor le dit comme étant une évidence : « Nous étions ici non pas pour mendier l’accord de nos parents mais pour essayer  d’atténuer les distances qui les séparaient de nous ». (p 61) La famille de Victor accepte mal une telle union, considérée comme déshonorante pour elle-même et pour la communauté. Et quand l’enfant arrive, les questions de chaque communauté surgissent comme un ressort libéré d’un coup de sa petite boîte, avec violence et avec des choix à opérer. Par naissance, l’enfant est membre – par le père – de la communauté de foi musulmane. Il fait partie intégrante de la Oumma. Le poids de la communauté islamique n’est pas négligeable. Fabienne au travers de ses beaux-parents s’en rendra compte très rapidement au gré des insultes, des pressions, voire des violences verbales. La jeune fille est chrétienne, comment son nouveau-né ne serait-il pas baptisé dans la foi en Jésus-Christ ? Auprès de son mari et de sa famille, quel est son statut aujourd’hui ? Victor, divisé en lui-même, restera-t-il l’amoureux passionné ? Continuera-t-il à être ce mari fougueux et délicat ? Sera-t-il le père que Fabienne espérait pour son enfant ? Tout devient source de conflits : problèmes économiques, perte de valeurs religieuses, changements dans les mœurs, volonté de préserver l’identité sociale, ethnique ou religieuse.

 

Nous sommes avec ce roman simple et vrai au cœur de la réalité libanaise, mais qui pourrait aussi se dérouler dans un autre pays du Moyen-Orient avec certainement des différences significatives. Comment peut-on s’aimer lorsque nos origines religieuses, culturelles et nationales sont aux antipodes des conventions ? Comment vivre la liberté de choisir ? Au-delà même du mariage, c’est la capacité de faire donner une réalité bien concrète « au vivre ensemble libanais » qui est en jeu. C’est la volonté de vouloir créer toujours et encore cet espace de liberté, de convivialité, d’acceptations des différences qui ont toujours fait à la fois la force et la faiblesse du Liban. Là est le miracle permanent : vivre tous les jours cette dimension plurielle dans une mêmeté, une culture et une langue commune. C’est au cœur des contradictions et des divisions que se joue la singularité du Pays des Cèdres.

 

Et, comme toujours et souvent se sont bien les mères qui portent l’espoir de tout un peuple dans la douleur des jours qui passent, et dans la joie qui vient parfois mettre du baume dans leurs cœurs lourds. Elles sont l’espérance. « Combien de mères trouveraient alors de nouvelles  histoires à raconter sur les mariages mixtes ? » (p 109) L’amour aurait-il des frontières que l’on ne pourrait traverser ? Un très beau livre, très prenant, à lire !!!

 

Patrice SABATER

Septembre 2019

 

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