MyDomuni
DOMUNI UNIVERSITAS

Aimer Israël, soutenir la Palestine

25 juin 2025 | resena
Aimer Israël, soutenir la Palestine

Auteur: Patrice Sabater

Nir Avishai Cohen, Aimer Israël, soutenir la Palestine. Histoire d’un Israélien d’aujourd’hui., L'Harmattan

Histoire d’un Israélien d’aujourd’hui.

 

Le livre « Aimer Israël, soutenir la Palestine – Histoire d’un Israélien d’aujourd’hui » de Nir Avishai Cohen met en lumière un témoignage pertinent, courageux en regard de la situation tendue en Israël entre les diverses positions dans la société. Ce sont les paroles d’un homme engagé au cœur du conflit israélo-palestinien, ancien officier réserviste de 43ans. Sa sincérité est désarmante, et détonne avec le discours entendu. Dans cet ouvrage il livre un témoignage critique de l’action de Tsahal dans les Territoires palestiniens, et appelle au dialogue. 

La mort d’Itshak Rabin, le 5 novembre 1995, mettait un terme aux espoirs suscités par les Accords d’Oslo. Nir Avishai Cohen prend alors conscience des humiliations et des crimes commis par Israël dans les Territoires occupés, et rejoint « Breaking the Silence » dont il est devenu le Porte-parole. Il est également un ex-militant du Parti Meretz. Le Major Cohen prend ici le pari d'une double fidélité : à son pays tout d’abord, Israël, et à une vision humaniste de la paix avec les Palestiniens. Son expérience militaire dans les Territoires occupés, qu’il décrit comme un soutien à l’idéologie des colons plutôt qu’une réelle mission de sécurité, le conduit sans détours à dénoncer une occupation qui nuit à la morale, à la Paix et à la sécurité même d’Israël. A n’en pas douter il y aura des suites à ce drame actuel dans l’imaginaire israélien, et dans celui des Palestiniens. Une autre histoire est en train de s’écrire, qui aura très vraisemblablement un après…

Et plus précisément, il revient selon lui d’examiner les Accords d’Oslo à partir d’un autre point de vue : « (les examiner) seuls, sans comprendre qu’ils n’étaient que le début du processus, est au mieux une stupidité. C’est aussi un manque d’incompréhension, et au pire une tentative de réécrire la réalité, en faisant en sorte que la société israélienne s’en souvienne comme d’une grave erreur et en l’utilisant pour empêcher tout véritable traité de paix entre Israël et les Palestiniens. Malheureusement, cette dernière croyance est banale ». (p 180) 

Le camp de la paix s’est réduit comme peau de chagrin. On constate jour après jour que  les manifestations organisées pour appeler à un cessez‐le‐feu, et pour dénoncer les crimes de guerre d’Israël sont plutôt rares. « Les traumatismes qui traversent la société israélienne vont nous suivre pendant encore de très nombreuses années. Quant aux otages, la société israélienne est un tout petit monde, tout le monde connaît quelqu’un qui est concerné de près ou de loin, des proches, des amis de ces familles d’otages. Le gouvernement se sert de ce climat de peur, des blessures des Israéliens pour empêcher la critique » (magazine Tenoua).

Dans le livre qu’il nous propose, il parle en patriote israélien, issu d’une famille sioniste de Gauche rescapée de la Shoah, et très attachée à la démocratie en Israël. C’est de l’intérieur qu’il nous convie à une réflexion et à un déplacement politique et humaniste. C’est un témoignage de l'intérieur. C’est d’autant plus important qu’il sait d’où il parle, et qu’il rappelle quelle est son histoire. Nir Avishai Cohen est une voix dissonante dans un climat de polarisation. Depuis les attaques du 7 octobre, il soutient la lutte contre le Hamas, mais il insiste sur la nécessité d’un cessez-le-feu et d’un accord politique. Il met en garde contre la montée d’une armée israélienne de plus en plus influencée par des courants religieux radicaux, et contre la perte d’espoir généralisée, y compris parmi les modérés. 

Y-aurait-il des solutions envisageables ?

Il appelle de ses vœux à une coalition politique judéo-arabe, à l’arrêt de la colonisation, à la fin du siège de Gaza, et enfin à la participation accrue des femmes à la vie politique en Israël. Notons, que déjà en Israël et dans les Territoires occupés des femmes ont pris des responsabilités (pp 178-179), et qu’elles sont au premier rang des revendications politiques et civiques. Il voit dans les actions non violentes (y compris « certaines formes de boycott ciblé ») un levier de pression pour amener Israël à changer de cap. Il met notamment en avant l'urgence d'une solution à deux États, même si elle semble, selon lui, de plus en plus irréaliste étant donné l’éclatement voulu depuis longtemps de rendre impossible une continuité du territoire.

Selon l’auteur, la création d’un parti judéo-arabe servirait non seulement la Gauche et aussi la démocratie israélienne « qui réside dans l’unification sociopolitique des Juifs et des Arabes. Un parti qui donnerait une représentation politique à ceux qui croient en la cohabitation au sein de l’Etat d’Israël, et qui pourrait conduire à un changement significatif dans le pays. La Gauche doit rebattre les cartes (…) » (p 179) Ceci donnerait plus d’ouverture que l’implantation progressive et sans frein des colonies « empêchant de créer une véritable frontière entre Israël et les Palestiniens. » (p 181)

Nir Avishai Cohen ne nie pas la complexité des mots – comme « sionisme » ou « apartheid », – et leur réception différente en Israël et en France. Il tente de construire un langage audible et pertinent avec ses interlocuteurs étrangers sans trahir son expérience israélienne. Il ne cherche pas à mettre sous le tapis ni les problèmes, ni les ambiguïtés, ni les impasses, et ni mêmes les difficultés. L’ancien militaire israélien est lucide, mais il est également plein d’espoir. Cette espérance qu’il tire de son expérience militaire, politique et de sa foi voudrait trouver comme porte d’entrée et/ou de sortie possibles les acteurs… de demain : la jeunesse. L’auteur veut toucher une nouvelle audience : la jeunesse israélienne désengagée ou attirée par la Droite nationaliste de plus en plus rance et extrémiste. On ne gagnera pas la jeunesse sans une pédagogie pour les jeunes générations.

C’est un chemin à prendre dès aujourd’hui. Une jeunesse qui est perdue, qui est mobilisée par Tsahal, qui se donne au point de mourir ou qui refuse de prendre désormais les armes (les Refuznik), tandis que le Gouvernement essaye d’intégrer quasiment de force les Haredim… Dans une interview récente donnée au Magazine TENOUA, il évoque la jeunesse israélienne qui nous ramène aux premières pages de son livre : « Je trouve les jeunes de plus en plus radicaux, de plus en plus sensibles aux idées portées par la droite israélienne. Ils sont convaincus que tous les Palestiniens veulent leur mort et, selon eux, le 7 octobre en est la preuve. La gauche n’a pas su s’adresser aux nouvelles générations et ne sait toujours pas comment le faire. Elle s’exprime à travers des médias, comme Haaretz, dont les lecteurs sont déjà convaincus par nos arguments. Nous peinons à avoir accès aux jeunes. C’est la raison pour laquelle, il y a quelques années, j’ai décidé de participer à une émission de téléréalité “Big Brother” pour qu’en prime time, je puisse faire entendre mes arguments contre la colonisation, pour transmettre une ou deux valeurs démocratiques. C’est aussi pour cette raison que mon livre est assez simple à lire, il s’adresse à la TikTok generation ». Il ne considère pas sa participation à l’émission Big Brother n’est pas une posture médiatique, mais une stratégie assumée pour atteindre ceux qui n’écoutent plus la Gauche.

Une phrase du Chapitre 11 nous glace un peu : « L’une des plus grandes tragédies de l’occupation, en ce qui concerne les citoyens israéliens, c’est le fait que nous pouvons vivre  toute une vie en Israël sans la ressentir, sans même savoir réellement qu’elle existe. Après tout, pour le citoyen moyen – celui qui ne se penche pas sur le sujet et qui, au mieux, regarde les informations de temps en temps – il n’y a pas d’occupation ». (p 173)

Le pays s’est grandement durci, et notamment chez les jeunes, pour qui le sens de l’Histoire, la lecture réelle de l’actualité sur le terrain, « s’est droitifiée ». Les clichés, les slogans tiennent pour la colonne vertébrale de tout discours arrivant très souvent à des raccourcis, des simplismes, et des propos terribles assez racistes. (pp 16-18). Vien évident reprenant une expression d’Albert Einstein, Israël dans sa folie s’attend à du changement en faisant toujours et encore la même chose…

Le livre se termine par deux constatations qui obligent à réfléchir plus avant : « Nous sommes un pays rempli de héros de guerre (…). Nous sommes un pays qui a désespérément besoin de héros de paix » (p 206). Ce livre qui combine un récit personnel, une analyse politique et des propositions concrètes pour sortir de l’impasse actuelle et de ce génocide en cours apporte des éléments de réponse, de vérité et des propositions pour avancer sur le chemin de la paix…, et de l’honneur.

Le livre est un appel courageux à l'humanité, à la fin de la déshumanisation mutuelle, et à la construction d’un avenir commun. L’auteur propose un dialogue fondé sur la vérité, le courage moral, et le sentiment qu’un autre chemin pour Israël et la Palestine est toujours possible, avant qu’il ne soit trop tard…