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Airbnb ou la Ville ubérisée

2 juin 2020 | resena
Airbnb ou la Ville ubérisée

Auteur: Ian Brossat

L’avenir de nos villes est en jeu. Le temps serait-il venu de réinventer l’espace urbain et de définir la place de l’homme en son milieu ? Où est l’Homme au cœur de la ville devenue ? La publication récente du livre de Ian BROSSAT, Maire adjoint aux questions relatives au logement à la Mairie de Paris, vient apporter sa pierre et ses convictions au cœur d’un débat délicat et polémique.

La pandémie que nous connaissons actuellement promet de se transformer en une explosion sociale sans précédent, une paupérisation plus grande encore que celle que nous connaissions jusqu’alors, et une crise du logement toujours plus criante. Cette bombe à retardement couve en raison de la situation déjà très tendue. Elle sera d’autant plus forte qu’il faudra répondre en urgence aux situations précaires des plus faibles, des familles nombreuses précarisées, des réfugiés et autres migrants.

En 2012, le Nord, le Sud-Est, et la Seine-Saint-Denis  avaient le taux de pauvreté le plus élevé de la Métropole. Ce taux est majoré dans les « villes-centres » et les espaces urbains importants. Les inégalités de niveaux de vie y sont souvent fortes ; et sans doute plus encore à Paris et dans certaines de ses banlieues. La situation des personnes les plus pauvres dépend fortement des prestations sociales. Elle tranche avec le train de vie des personnes les plus aisées et des catégories socio-professionnelles les plus à l’abri. Ces lieux urbains concentrent le plus souvent les plus fortes inégalités ; telles que les pauvretés monétaires, financières, locatives, sociales, culturelles etc. Faut-il continuer ? Certains des Parisiens se sentent « comme des étrangers » dans leur propre univers. Leur histoire se décompose devant leurs yeux. Rien ne semble pouvoir arrêter la machine à billet, les intérêts des uns contre la survie des autres. Ces déséquilibres restent préjudiciables pour les personnes, pour les établissements hôteliers et leur personnel, et les autres structures qui en dépendent. Les catégories professionnelles intra-muros sont les plus touchées. Elles baissent inexorablement. En dix ans, le taux des ouvriers a baissé de 17%, et celui des employés de 9%. Entre 2011 et 2016, la seule ville de Paris aurait perdu environ plus de 60 000 habitants. La plateforme américaine Airnb y contribue depuis 2014 pour une bonne part, mais elle n’est pas la seule ! Elle s’est très intelligemment faufilée là où les spéculateurs les plus avisés ont su préparer le terrain, investir et acheter des immeubles entiers pour accélérer un tourisme français et étranger parallèle.

Les plus défavorisés de la capitale ne pouvant y demeurer doivent en sortir. Ils laissent la ville aux plus nantis, aux spéculateurs, aux touristes soucieux de passer quelques jours à paris au moindre coût. C’est ainsi, que la force du travail sort de Paris pour aller vivre en proche banlieue. Paris s’inscrit dans un espace urbain recomposé au gré des modes et de l’argent. C’est dans ce cadre bien précis que l’on a vu depuis quelques années en Europe, à Barcelone ; et notamment à Paris surgir un processus de gentrification et d’exclusion des classes populaires. La capitale s’est ouverte avec Airbnb à une « ubérisation » de masse. Ian BROSSAT (PCF) estimait que la part « confisquée » ou « détournée » au marché locatif s’évaluait autour de 20000 logements. Le marché de l’offre Airbnb est donc bien lucratif. La proposition ne cesse de croître. Le chiffre est non seulement constant mais sans doute en forte progression. Avant la pandémie, l’offre commerciale annuelle disponible à Paris était chiffrée autour de 65000 possibilité à moindre coût. Nous sommes assez loin de « l’économie collaborative » des débuts… Concurrence déloyale, difficultés de voisinage, déstructuration humaine des quartiers hier si importants dans le tissu urbain, mouvements de personnes incessants sont notamment des points qui renforcent et creusent la problématique.

Le milieu urbain parisien s’est modifié peu à peu. Des quartiers entiers se sont métamorphosés. Citons deux quartiers emblématiques très prisés : le Marais et l’île Saint Louis. Symboles de liberté ou de farniente ces lieux sont devenus « autres ». Les bars, les restaurants et autres boutiques de la communauté homosexuelle ferment les uns après les autres. Archétype de ce changement, la célébrissime librairie gay « Les mots à la bouche » a dû se déplacer dans un autre quartier de la capitale. Les commerces de bouche de l’île Saint Louis quant à eux ont baissé peu à peu le rideau. Au mieux les lieux et les personnes se déplacent d’un quartier à l’autre ou d’une zone à une autre. Dans la majeure partie des situations, on assiste à une « relégation » des personnes les plus en difficulté pour se loger et pour demeurer à Paris. La conséquence touche à la structuration de la ville ne permettant plus la mixité sociale. Comment peut-on alors réguler le marché ? Comment lever des fonds pour augmenter le parc locatif en vue de plus de solidarité et de justice ? Comment inventer une politique publique ? Comment les dispositions réglementaires municipales peuvent-elles faire face à la force financière ? Comment agir sans que l’image de Paris soit touchée ou raillée auprès des bailleurs, des propriétaires-vendeurs, et des touristes ? Et tout compte fait, comment agir pour une vraie économie de partage ?

Imaginons notre ville. Imaginons ce que sera demain après cette pandémie, ce que seront nos rapports sociaux et notre lien au monde plus vaste. Une ville et ses quartiers, ses populations et son dynamisme doivent-ils être sacrifiés sur le seul autel de la spéculation financière et du « tout touristique » ? Où est donc passé cet Homme, notre ami, notre frère, notre voisin ? Le livre de Ian BROSSAT, en dehors des schémas seulement politiciens d’une campagne électorale à venir, pose les seules et bonnes questions. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Il suffit de se promener dans Paris, d’écouter les riverains et les Parisiens relégués à l’extérieur du périphérique pour comprendre que cette situation est devenue une somme de problèmes urgents qu’il conviendra de réguler et de réglementer pour que Paris et nos villes respirent encore le bon air de la liberté et de la joie de vivre. Vaste sujet et débats à venir difficiles en perspective autour de la question de la Ville et de la place de l’Homme en son milieu. A lire.

 

Patrice SABATER

Mai 2020

 

Ian BROSSAT, Airbnb ou la Ville ubérisée. Editions La ville brûle. Paris 2019. 160 pages. 15 €

 

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