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Orientalisme savant, orientalisme littéraire. Sept essais sur leur connexion

19 janvier 2018 | resena
Orientalisme savant, orientalisme littéraire. Sept essais sur leur connexion

Pierre LARCHER

Père Patrice Sabater, cm

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L’Orient fascine les Hommes de Lettres depuis le Siècle des Lumières. Depuis le grand texte des Mille et une nuits, nous sommes entrainés malgré nous dans cet Orient qui reste cher à notre cœur, et qui nous désoriente tant… L’auteur occidental fantasme sur l’Orient. Est-il véritablement une création de l’Occident comme aime à le dire Edward Said ?

Pendant des siècles, l’Occident a essayé de connaître et de représenter l’Orient. Plus il cherchait l’Orient, plus il essayait de se trouver lui-même. Que cherchait-il ? Pourquoi une telle avidité ? Pourquoi un tel désir d’Orient ? Pourquoi une aussi grande fascination ? Pourquoi regarder vers l’Est ? Que cherchent à rejoindre saint François, saint Antoine de Padoue, le laïc Ramon LLull… ? Quel attrait pour cet Orient des Croisades, Orient du Grand Turc…, Orient des sentiments contraires d’attirance et de répulsion, de peur et de fascination… celui du « choc des civilisations »… L’Occident se pense aussi lui-même à travers cet Orientalisme (cf. par exemple Les Lettres Persanes de Montesquieu).

Quand le lecteur non-spécialiste entre dans le livre de Pierre LARCHER, il ne s’attend pas à croiser un des personnages de l’œuvre de Voltaire. Je veux parler de Zadig ! Puis viennent l’allemand Goethe…, et encore Victor Hugo dont « l’érudition d’orientaliste (est) au service d’un talent de poète » (cf. Les Orientales). Honoré de Balzac fait aussi partie de ces auteurs du 19ème siècle dont Pierre LARCHER va nous parler… Et puis, surprise Louis Aragon, avec entre autres textes le Fou d’Elsa, écrit en 1963…

Pierre LARCHER est professeur de linguistique arabe à l’université d’Aix-Marseille.
De l’Orientalisme, nous ne connaissons que ce que les 19ème et 20ème siècles ont produit en peinture, en littérature… et surtout ce que l’on nous en a dit. Le Palestinien Edward W. SAID est de ceux-là. Pierre LARCHER ne suit pas exactement la ligne de ces savants et érudits. En 1978, Edward W. Saïd, universitaire palestino-américain, publie L’Orientalisme. Ce livre développe l’idée à partir de laquelle l’Occident a créé un Orient rêvé, imaginé ; et qu’il est le produit des puissances impérialistes et occidentales… Pour étayer sa thèse, il étudie un corpus de textes (surtout français et anglo-saxons) écrits pour la plupart aux 19ème et 20ème siècles. Cette étude fait donc ressortir des liens qu’il veut intrinsèquement liés entre eux c’est-à-dire entre ce qu’il nomme, on le sait, orientalisme académique et impérialisme colonial. Dans ces liens, il y voit une sorte d’assujettissement colonial et de perversité de l’occidental sur l’oriental. Pour lui, cet Orient si difficile à cerner et à appréhender « n’existerait nulle part hors de nos têtes d’Occidentaux ». Il serait une recherche autocentrée de l’homme occidental sur-lui-même, comme une espèce d’introspection, un révélateur ou un miroir qui réfléchirait son image tel Narcisse… L’ouvrage de Edward W. Said est implacable et parfois féroce.

L’essai de Pierre LARCHER est aux antipodes de cette critique et de cette dimension engagée par le Palestinien de nationalité américaine. Il n’est pas, pour autant, une défense creuse de l’Orientalisme en tant que tel. Dans la Préface de son livre, nous lisons : « sur le sens de ce petit livre. Il ne s’agit pas d’une “réhabilitation” de l’orientalisme : il n’a nul besoin d’être réhabilité ». L’ouvrage Orientalisme savant, orientalisme littéraire est constitué de sept articles comme étant des « enquêtes réunies par un thème commun : celui de la connexion des deux orientalismes, savant et littéraire ». Chacune des parties est consacrée à une œuvre littéraire (Zadig de Voltaire, le Divan occidental-oriental de Goethe, les Orientales de Victor Hugo, La peau de chagrin de Balzac). Autre point de divergence avec L’Orientalisme de Edward W. Said, Pierre LARCHER consacre également des pages à des savants (Joseph von Hammer et Ernest Fouinet), à la musique ainsi qu’à la peinture.

Dans ce fourre-tout qu’est l’Orientalisme, il faut distinguer plusieurs approches : l’Orientalisme savant qui est celui des savoirs, et L’Orientalisme de terrain: voyageurs, commerçants, militaires, colons. On ramène de la Campagne d’Egypte un goût pour la culture, pour les us et coutumes. On les peint et on les couche sur le papier… On y ramène aussi de la musique et des instruments. On s’invente un univers. On le déplace… L’Égypte de Bonaparte est vecteur important de cet Orientalisme qui fleurit dans les pays de l’Europe des 18èmes et 19èmes siècles. Les grands récits de voyages de Chateaubriand (Itinéraire de Paris à Jérusalem - (en 1811), Lamartine (Souvenirs, impressions, pensées et paysages pendant un voyage en Orient – (en 1835), Nerval (Voyage en Orient - (en 1851), Théophile Gautier… accompagneront ces sentiments en même temps que ces peintures (paysages, femmes orientales, vie dans les douars, danseuses lascives…). Ces instantanés de vie et ces récits font rêver. Ils captent les sens… Ils donnent envie de voyager… en Orient ! Et il en sera de même avec les œuvres philosophiques, les récits et les livrets d’Opéra depuis Monterverdi (dernier chapitre du livre)… On notera, par exemple dans le domaine des turqueries, principalement L’Enlèvement au sérail (1782) de Mozart. L’auteur se laisse aller parfois dans des commentaires un peu hardis et ne relevant pas de ses compétences en matières politiques et géostratégiques. Il surprend également quand il discute autour du fait qu’Aragon soit – ou ne soit pas – un des grands poètes du 20ème siècle…

L’auteur, très grand spécialiste de la linguistique arabe, ne fait pas montre ici d’une érudition pour quelques spécialistes mais permet à tout lecteur qui s’intéresse à ces questions d’Orient de pouvoir s’investir, et d’aller avec lui dans des champs non-encore véritablement exploités…, en tout cas de la sorte.
L’Orientalisme trouve ses origines au Moyen-Age ; temps des premières confrontations avec l’islam et la culture arabo-musulmane en Espagne, au Portugal, en France… L’amateur d’histoire littéraire se retrouvera parfaitement dans cet essai méticuleux et touffu. Il faudra tout de même un peu d’entrainement et de la patience pour lire ce livre et en savourer tous ses aspects et ses porosités. Il n’est tout de même pas non plus un livre qui ne puit se lire tranquillement, il ne requiert pas non plus une formation de linguiste ou d’arabisant. En fin de compte, nous sortons nous aussi un peu plus savants…


Patrice SABATER, cm
25 décembre 2017

Pierre LARCHER, Orientalisme savant, orientalisme littéraire : Sept essais sur leur connexion. Editions Actes Sud, 2017, 238 pages. 23 €
 

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