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Les années Netanyahou. Le grand virage d’Israël

18 novembre 2022 | resena
Les années Netanyahou. Le grand virage d’Israël

Auteur: Patrice SABATER PARDO

Les années Netanyahou. Le grand virage d’Israël de Jacques Bandelac

« Bibi » bat d’ores et déjà tous les records de longévité détenu jusqu’à présent par Ben Gourion à la tête d’Israël

Les dernières élections mettent une fois de plus les projecteurs sur Benjamin Netanyahu. Donneront-elles à Israël un nouveau Parlement pérenne ? Bien avisé serait celui qui pourrait dire aujourd’hui quelle sera la configuration à long terme de la nouvelle Knesset ! « Bibi » bat d’ores et déjà tous les records de longévité détenu jusqu’à présent par Ben Gourion à la tête d’Israël malgré les nombreuses affaires judiciaires. On le dit « indéboulonnable ».

L’auteur propose dans son livre  » Les années Netanyahou. Le grand virage d’Israël » une étude critique autour du « Bibisme » ; comme forme de gouvernement politiquement autoritaire, et ultra-libéral au niveau économique. Son empreinte marque d’une façon prégnante la vie sociale et politique de son pays. Cet ouvrage nous donne les clefs d’une lecture exigeante.

Depuis trois décennies,  Netanyahu est à la manœuvre soit comme dirigeant soit comme leader du Likoud. Il débute en politique en 1980 dans le sillage de Begin, et ne tardera pas à être élu Premier Ministre en 1996. Son ascension est rapide. Il connaît bien les Etats-Unis puisqu’il y a vécu et travaillé durant de nombreuses années. Il s’en inspire pour mener sa politique. En Donald Trump, il trouve soutien et convergence politique. Avec l’appui de l’Administration américaine, il redessine les contours de la géopolitique au Proche-Orient orientant Israël dans une nouvelle dynamique avec « Les Accords d’Abraham ».

Netanyahou réécrit l’histoire d’Israël en substituant le récit des Pères fondateurs, pour la plupart « Travaillistes », de l’Etat fondé en 1948, en un récit servant les thèses sionistes révisionnistes, droitières et expansionnistes. Réécrivant l’histoire, il s’inscrit dans une longue histoire personnelle. Son père est le secrétaire particulier de Jabotinsky, penseur et père du sionisme révisionniste. Il grandira dans ce souvenir : mémoire d’un père intransigeant, celle d’un fondateur révisionniste aux idées extrémistes et la mort d’un frère tombé sous les balles des Palestiniens forgeront une idéologie politique qui ne peut accepter le Palestinien et ses aspirations politiques.

La durée politique lui a donné l’occasion de parfaire l’idéologie qu’il met en œuvre en tournant le dos en grande partie au Père de la nation : Ben Gourion. La Loi fondamentale de l’Etat hébreu réserve au seul Peuple juif le droit à l’autodétermination sur la Terre d’Israël, suppression de la langue arabe comme deuxième langue officielle du pays au seul profit de l’hébreu. Il rappelle que ce pays est une terre juive pour les Juifs. Il cherche aussi à discréditer l’Autorité Palestinienne tout en la « soutenant » contre le Hamas. Un jeu trouble de haute voltige. Pour une bonne partie de l’opinion israélienne, il reste le protecteur d’Israël, l’homme fort, celui qui permet aux Juifs israéliens de pouvoir accomplir leurs rêves et leurs espoirs. 

Il se démarque du Likoud et de ses prédécesseurs en faisant quelque chose de diamétralement nouveau. En transformant son Parti il le fait passer d’un parti nationaliste à un parti populiste, si bien que les divisions internes et les désaffections de certains de ses amis politiques sont nombreuses (Sharon, Olmert, Libermann, Bennett). Il divise pour mieux régner… Il créé une dynamique populiste servant sa cause, ses intérêts privés et familiaux. Au niveau du Gouvernement, il gère plusieurs portefeuilles ministériels pour ne pas devoir partager le pouvoir. Il donne à la fois des gages en cherchant à sceller des coalitions avec des partis religieux de plus en plus exigeants, et travaille aussi à un dénigrement de la Gauche israélienne, des Arabes israéliens qui deviennent des « ennemis de la Nation ». Les ultraconservateurs arrivent à renforcer la partie la plus minoritaire du sionisme. Il maintient un certain malaise et un pourrissement dans la gestion du dossier concernant le conflit israélo-palestinien.

Le mode de gouvernance reste très autoritaire associé à une radicalisation, un culte de la personnalité ; et enfin à un pragmatisme. Dans la population, il s’annihile en sa faveur les couches populaires, les pauvres, les Juifs religieux, les Sépharades promettant tout et rien ; et surtout en affirmant qu’il était le seul à pouvoir les protéger. Israël est devenu, selon l’auteur, un état plus juif et moins démocratique.

Il adopte le nationalisme et le libéralisme de la Droite de Begin en instaurant une pratique et des formes provenant des USA : politique ultralibérale rapide et profonde (privatisations à marche forcée, des dépenses civiles et la protection sociale en baisse entraînant de graves conséquences telles que la pauvreté et des inégalités sociales. En 15 ans de Bibisme, la pauvreté a doublé en Israël générant aujourd’hui plus de différences entre riches et pauvres, entre Arabes et Juifs. Israël reste un des pays les plus chers au pouvoir d’achat revu à la baisse : cherté du logement, suppression des aides sociales au logement et des logements sociaux.  La « nation start up » ne représente que 10% du pays.

Une période pendant laquelle la Démocratie s’est fragilisée en modifiant les règles du jeu et en sapant peu à peu les fondements démocratiques. Le leader du Likoud s’est attribué un pouvoir autoritaire fort en écartant les partenaires gênants, et en minimisant le rôle des syndicats.

Un malaise identitaire de plus en plus marqué existe en terme d’égalité entre les citoyens (surtout vis-à-vis des populations arabes). Pour pouvoir se maintenir au pouvoir, il a aussi agi négativement sur la Justice et les médias pour des raisons personnelles. Pour s’assurer un discours efficace en sa faveur, il permet la diffusion d’un journal gratuit dévoué à sa cause. Le leader est un bon communiquant, qui réussit à convaincre les Israéliens, qui a étouffé les réactions et à diviser ses opposants. Israël est une Démocratie mais ses fondements sont fragilisés devenant de fait une « Démocratie illibérale » ; c’est-à-dire défaillante ne remplissant plus son rôle.

Tout cela explique sa longévité qui aura indéniablement marqué une rupture idéologique et politique. Cette révolution bibiste est vécue comme une rupture avec l’histoire d’Israël. L’auteur soutient l’idée qu’il faudrait parler davantage de l’avenir d’Israël que celui de BB !

Le livre de J. Bandelac intéressera tous ceux qui veulent comprendre la politique actuelle de Benjamin Netanyahou et de ses supporters. Il éclaire de façon renouvelée les dernières élections de novembre 2022.

 

Jacques Bandelac, Les années Netanyahou. Le grand virage d’Israël. Coll. Comprendre le Moyen-Orient. Ed. L’Harmattan. Paris mai 2022. (304 pages). 31 €