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La formidable histoire d’Alexandre Glasberg. Résistant, pionnier social, prêtre non conformiste

18 janvier 2024 | resena
La formidable histoire d’Alexandre Glasberg. Résistant, pionnier social, prêtre non conformiste

Auteur: Patrice Sabater

Nick LAMPERT, « La formidable histoire d’Alexandre Glasberg. Résistant, pionnier social, prêtre non conformiste ». Ed. Karthala, 2021. 375 pages. 29 €.

Nick Lampert nous partage dans ce livre foisonnant des faits ordinaires et des actes incroyables posés par l’Abbé Alexandre Glasberg. Un Juif converti…

Alexandre Glasberg (1902-1981) est né à Jitomir (Ukraine) le 17 mars 1902, dans une famille juive ashkénaze non loin de Kiev. Les pogromes de 1919 et 1920 le contraignent de s’enfuir à Vienne en 1921 pour y faire ses études. Il arrive en France en 1931 et, est ordonné prêtre en 1938. A 18 ans, il quitte son Ukraine natale pour rejoindre la capitale de l’Empire austro-hongrois où il poursuit des études. C’est le temps des périples et du mouvement. On le retrouve en Pologne en 1923, puis rejoint l’Allemagne pour y travailler. Il est bientôt envoyé par son entreprise en Yougoslavie.

Alexandre et son frère sont baptisés au sein de l’Église luthérienne autour des Années 1920, mais l’évolution personnelle et les rencontres faisant leur chemin, il décide d’épouser le culte romain en 1933 au Séminaire d’Issy-les-Moulineaux. Cela fait une année qu’il demeure en France. Il entre au Séminaire catholique de Moulins poursuit sa formation au Séminaire universitaire de Lyon. Un homme actif à la tête bien faite, à la croisée des chemins entre le Judaïsme vécu dans cette famille d’Europe centrale déracinée et un Christianisme qu’il découvre à la fois dans les livres, la Tradition et les personnalités. Il fera ses premières armes comme Vicaire dans un faubourg pauvre de Lyon. Il s’y distingue par un dynamique à tout crin. Il mène des actions sociales, et d’accueil des réfugiés Républicains espagnols, Allemands, Autrichiens, Juifs… fuyant le nazisme. Il créé alors le Comité d’Aide aux Réfugiés. Il se rapproche d’autres organisations telles que l’OSE, la CIMADE… ; et dans la foulée créé la Direction des Centres d’accueil.

L’Europe est rapidement traversée par l’idéologie nationale-socialiste. Avec elle la barbarie et les atrocités se font de plus en plus sentir. L’Eglise catholique reste très prudente, et le Pape Pie XII « temporise » privilégiant l’aide aux Juifs convertis au catholicisme. Le Saint-Siège choisit la défense de ses fidèles avant le reste. Néanmoins, sur les 80 évêques que comptait la France de l’époque plus de 55 ont participé à sauver des Juifs.[1] Néanmoins, de 1940 à 1942, le jeune ecclésiastique s’attache à faire sortir des Camps vichystes un nombre important d’internés. C’est ainsi qu’en août 1942 la France découvre que l’idéologie nazie prend un tournant sanglant et systématique dans l’horreur. C’est le début des déportations des Juifs vers les camps d’extermination. Il multiplie les interventions pour créer ou transformer des papiers d’identité pour sauver des vies. Il sera même condamné à mort par contumace, et recherché activement par la Gestapo. Il trouve refuge auprès de Mgr Pierre-Marie Théas, évêque de Montauban. Sur tous les fronts, il devient un des responsables du Maquis du Tarn-et-Garonne. Il avait pu sauver les autres, il ne put rien faire pour son frère Vila déporté le 7 mars 1944 à Auschwitz où il mourra…

Un évêque déjà âgé et diminué par la maladie, Mgr Saliège, ose protester. Il sera l’honneur de la France ! A Paris, Mgr Suhard, et Mgr Verdier reçoivent des subsides du Vatican pour aider les réfugiés depuis 1939 et pendant l’Occupation. Mgr Suhard, Mgr Théas, Mgr Rémond, Mgr de Courrèges rejoignent la protestation de Mgr Saliège. Des aides, des réseaux, des prises de positions s’organisent. Le Père Alexandre Glasberg n’est pas en retrait. Son tempérament le presse et le motive à poser des actes, et à participer à cette dynamique. Dans cette démarche, il est appuyé par le Cardinal Gerlier (archevêque de Lyon). Ce dernier l’aide dans le sauvetage des Juifs. L’Abbé Glasberg visite des camps de détention organisés par le Gouvernement de Vichy. Ne l’oublions pas, cet homme est né dans la religion juive, et est pétri par la « houspa » ; c’est-à-dire le « culot », « l’aplomb ». De ce fait, et rempli de courage, il demande à chacun des directeurs de ces lieux d’emmener avec lui les jeunes de moins de quinze ans. Ils acceptent !

Dans le diocèse du Tarn-et-Garonne, où il est incardiné, il devient Curé sous l’autorité pastorale et canonique de son nouvel évêque ; Mgr Pierre-Marie Théas. Il entre dans la Résistance, et est promu par le CNR. 

Après-guerre, sous son impulsion, il fonde le Service des Centres d’accueil devient le Service des Etrangers (le 7 septembre 1944) ; et deviendra plus tard le COSE (Centre d’orientation sociale des étrangers) : aider les Juifs, principalement les survivants des Camps, à rejoindre la Palestine. Sioniste de conviction, il reste meurtri par les atrocités endurées par les Juifs. Il est en même temps enthousiaste par l’aspect social de ce qui se faite en Terre de Palestine. Un ordre socialiste nouveau est en marche... Il est surtout marqué par les formes coopératives de travail, dans l’agriculture et dans l’industrie entre 1947 et 1948. Il s’implique de tout cœur, en mettant toute son énergie, dans l’immigration juive d’après-guerre en Palestine. L’immigration juive en Palestine a considérablement augmenté dans les années 1920 et au début des années 1930. Les intérêts arabes et les tensions judéo-arabes se développent au sujet de l’achat de terres, dans la seconde moitié des années 1930. Un « Livre blanc » britannique de 1939 impose des limites strictes à l’immigration juive et à la vente de terres aux colons juifs. 

Ce document refuse aux Juifs le droit de reconstruire son foyer national dans son pays ancestral et met la population juive à la merci de la majorité arabe. Cependant, on constate que le Peuple juif n’a aucun conflit avec le Peuple arabe, et le travail juif en Palestine n’affecte pas la vie et le progrès du peuple arabe, la colonisation juive ayant même profité à tous les habitants de la Palestine. Les restrictions britanniques à l’immigration conduisent à l’émergence du Mossad, créé en 1939 en tant que branche de l’organisation paramilitaire Haganah. Entre la fin de la guerre et la fondation d’Israël en mai 1948, le Mossad organise au total le départ de 64 navires transportant environ 70 000 passagers, dont beaucoup sont des survivants des Camps. Les Juifs aspirent à s’installer en Palestine. Les Britanniques essayent de maintenir de bonnes relations avec l’Agence juive mais des groupes terroristes paramilitaires juifs, comme l’Irgoun, rendent difficiles les discussions.

L’Abbé Glasberg, progressiste de fait, se trouve au milieu du gué, et participe à l’immigration juive illégale. Il soutient à l’époque le Mossad basé à Paris. Ses amis au sein du gouvernement socialiste de Paul Ramadier (reconnu par Yad Vashem comme l’un des Justes pour ses actions en faveur des Juifs), et sympathisants sionistes, lui apportent une certaine aide utile apportée au navire de la Haganah, l’Exodus 1947. Il est à l’époque le Directeur du Centre d’orientation sociale des étrangers. Il est foncièrement persuadé que les Juifs ayant subi la Shoah ne peuvent pas revenir sur ces lieux de terreur, et c’est dans ce contexte que nous retrouvons l’action de l’Abbé Glasberg dans l’affaire de l’Exodus.

En mars 1947, le ss President Warfield traverse l’Atlantique et navigue vers la Terre Promise, mais devant les difficultés le Mossad décide de rejoindre la côte méditerranéenne (Port-de-Bouc, puis le port de Sète au mois de juin). L’objectif visé est de conduire les 4500 Juifs déplacés en Europe, et de créer un État juif en Palestine.

L’Abbé Glasberg tente d’organiser une aide pour l’obtention de 850 visas de transit collectif. De Résistant, il devient « conspirateur » ! Toujours la « Houspa » juive. Le prêtre s’installe en contrebande dans la salle de contrôle du ministère de l’Intérieur. A partir du standard téléphonique, il donne des instructions aux divers postes-frontières. C’est ainsi que 4 500 personnes arrivent à Sète !!! Ce n’est que le début d’une épopée et de nombreux rebondissements qui deviennent vite de portée internationale. Mais, l’opération première n’est pas une véritable réussite.

L’Abbé Glasberg, Président du Conseil inter’œuvre des émigrants et transitaires juifs, est chargé de coopérer à l’organisation de l’accueil éventuel des émigrants de l’Exodus 47. L’ecclésiastique est autorisé « à circuler sur toutes les voies dont l’accès est interdit au public ». La tentative d’atteindre la Palestine est un échec cuisant. A bord, les conditions sont difficiles mais un refus est opposé à la proposition britannique de débarquement. L’horreur succède en quelque sorte à l’horreur. En octobre 1947, le Père Glasberg publie « La Leçon sociale de l’affaire « Exodus » » . Il y témoigne de son soutien passionné pour une patrie juive en Palestine. Il liste, selon lui, les raisons de cette catastrophe, de cet échec, et du fait qu’il faut y remédier. Il reprend son idée majeure de la promesse d’un nouvel ordre social fondé sur des principes socialistes, qui se développe avec les colonies juives en Palestine. L’Abbé n’oublie pas le sort des Arabes palestiniens et recommande de limiter l’immigration juive afin de ne pas créer une majorité juive en Palestine. De plus, tout en soutenant une solution à deux États (plan de partage de la Palestine), il préconise – sans doute naïvement – une phase de transition dans laquelle la Palestine serait administrée par l’ONU et les Églises, sans la participation d’une grande puissance impliquée, avec l’intention de permettre l’amélioration des relations sociales entre Juifs et Arabes avant l’implantation de tout arrangement de partage.

Il tentera d’obtenir le soutien du Vatican ou sa neutralité par rapport au partage. L’Agence juive travaille pour obtenir le vote des deux États. La résolution pour le partage de la Palestine est adoptée le 29 novembre 1947 avec 33 voix pour, 13 contre et 10 abstentions. Le Plan est rejeté par la partie arabe. Les tensions se renforcent inévitablement. En mars-avril 1948 il se rend en Palestine. Il compose deux textes où il fait part de ses expériences dans Vers une nouvelle charte sociale. L’espoir palestinien (1948). C’est la promesse d’un nouvel ordre social. Sa vision est somme toute assez équilibrée, et pourrait sans doute être une option dans la résolution de la crise judéo-arabe. Dans ses écrits, on lit : « De ces semaines mouvementées passées parmi un peuple de jeunes vivant dans l’extrême tension de la préparation d’une guerre décisive, je crois avoir tiré des enseignements utiles à la compréhension des luttes et des recherches sociales de l’époque actuelle. […] Un pays en guerre. On le sent dès qu’on pose le pied sur son sol. Et pourtant, ce n’est pas l’atmosphère conventionnelle à laquelle fait penser le mot guerre ».

L’Abbé Glasberg ne se rendra pas seulement en Palestine, mais aussi en Pologne. Avec le soutien des Autorités françaises entre 1946 et 1948 il y aidera les Juifs polonais à émigrer. Le voyage n’est pas simple… Il arrive à faire immigrer un millier de Juifs.

L’Abbé Glasberg n’est pas l’homme d’un seul combat. En mai 1948, il s’attache à faire sortir une majorité des Juifs d’Irak. En novembre 1948, il se rend à Téhéran. Si l’objectif officiel était d’enquêter sur la situation des minorités chrétiennes, l’objectif réel était d’étudier les moyens à prendre pour que les Juifs irakiens passent par l’Iran, en route pour Israël. Les Iraniens acceptent de permettre aux Juifs irakiens de passer par l’Iran à condition qu’ils aient des visas pour un pays autre qu’Israël. Contre toute attente, il arrive à sauver 12 000 personnes, et ensuite les 110 000 Juifs d’Irak emprunteront le même chemin. Il conçoit cette terre nouvelle où les Juifs vont pouvoir trouver une espérance comme une terre de dialogue et de rencontres entre les Juifs et les Arabes. 

En Mai 1949, il reçoit en préparation à son deuxième voyage en Israël un courrier élogieux et plein de reconnaissance de l’Etat d’Israël : « Je suis très heureux d’apprendre que vous avez bien voulu consentir de faire un voyage en Israël en Juillet prochain. Tous vos amis se réjouissent d’avance de vous recevoir. Vous y rencontrerez beaucoup de personnes que vous avez aidées à gagner la Palestine pendant l’occupation, en leur sauvant ainsi la vie. Laissez-moi vous dire à cette occasion toute la gratitude que nous vous gardons pour l’infatigable activité que vous avez déployée depuis la Libération au service de la cause israélienne. Sans ménager votre temps et vos forces, vous nous avez aidés à organiser le sauvetage des Juifs aussi bien en Europe orientale que dans les pays arabes. Vous avez accepté les inconvénients des voyages pleins de risques en Pologne et en Iran, où vous vous êtes rendu sous divers prétextes pour organiser le départ clandestin des Juifs désireux de rentrer dans le pays de leurs pères ».

Une poignée de rêveurs obstinés permettent au rêve de devenir réalité dans le combat de l’esprit et de la foi contre la force. Venus de pays d’oppression, où ils étaient traités en citoyens de seconde zone, ils aspiraient à vivre en hommes libres dans leur propre pays. L’idée était le fait de croiser les aspirations nationales sionistes et l’idéal biblique de la justice sociale. Les Juifs sortis du ghetto apprenaient l’effort créateur et la fraternité du travail. Le Sionisme correspondait au retour à la terre. La terre palestinienne paraissait être le lieu où le rêve allait pouvoir se réaliser.

L’Abbé sait qu’il y aura des défis nombreux auxquels Israël. Le jeune État est confronté à de problèmes inextricables à l’extérieur comme à l’intérieur. « Israël manifeste de plus en plus le désir […] de se « normaliser », c’est-à-dire passer aux possibilités concrètes, résultant de minutieux calculs dictés par l’économie et la diplomatie, et déclarer close l’ère des folies héroïques. Sur le plan intérieur, un énorme changement intervient, avec un étonnant doublement de la population en trois ans, passant de 700 000 au début de 1948 à 1 500 000 au début de 1951. Ces chiffres constituent un défi, et un changement social : la nouvelle immigration ne comporte plus cette minorité d’élite qui s’en allait vers les kibboutzim […] Non seulement cette masse migratoire est plus que jamais disparate, mais elle est composée pour la moitié – et bientôt plus – de ressortissants de pays orientaux, étrangers à l’idéal social et socialiste des pionniers venus d’Europe. »

Il se préoccupe également du problème juif en URSS. La grande majorité de la population juive soviétique après la Révolution aspire à l’assimilation économique et sociale au sein de la Russie européenne, et l’étiquette « Juif » n’a aucune signification.

Jusqu’à cette époque il avait gardé sa foi en Israël et dans le projet sioniste. Pour lui, il était crucial qu’Israël soit « différent », et qu’il se comporte différemment des « autres États ». Le nationalisme anéantirait cette mission. C’est ce qui s’est produit... Il lie la croissance du nationalisme aux courants théocratiques de la société israélienne, tout en critiquant l’américanisation d’Israël, et le déclin de l’impulsion socialiste qui a donné naissance au Sionisme à ses origines. La Guerre des Six Jours en 1967 et l’occupation de la Cisjordanie marquent un tournant dans l’histoire. L’ecclésiastique est de plus en plus préoccupé par le sort des réfugiés palestiniens et par la recherche d’une issue dans les relations israélo-arabes. Il est à l'origine de mouvements pacifistes regroupant Israéliens et Arabes. Il agira contre les actions de l’OAS, mais soutiendra l’indépendance de l’Algérie. Il se mobilise au milieu des années 1970 pour faciliter l’accueil des réfugiés de l’ancienne Indochine française. Il écrit :

« Comme vous, je regrette le tournant pris par Israël, devenu un pays non seulement comme les autres mais s’américanisant de plus en plus sur le plan économique aussi bien que sur le plan social. Je vais même plus loin. Je considère cette situation comme une trahison du Sionisme tel que nous l’avons connu avant et pendant la création de l’État. Je n’oublie pas qu’alors le Sionisme était d’inspiration socialiste dans le meilleur sens de ce terme. Nous espérions même qu’Israël serait un État pionnier, un exemple socialiste pour le monde nouveau à construire. Une des causes, et non des moindres, de cette trahison, a été l’existence du courant religieux qui, aidé par l’influence américaine, a transformé Israël en une société théocratique ; d’où la naissance de l’ultra-nationalisme, du racisme, et l’anéantissement de l’idéal socialiste. Tout cela lié à un mensonge, puisque la population reste à 80 % incroyante. Ceux qui, comme vous, ont contribué à cet état de choses, devraient faire leur autocritique. Je ne dis pas que cela renverserait la situation, mais cela pourrait y contribuer. Or la situation est grave et menace même l’existence de l’État ». Je n’ai jamais connu ni essayé d’approfondir votre pensée religieuse. Je sais que ce que vous avez fait pour nous, vous l’avez fait en tant que Juif. Cependant, ce qui m’étonne, c’est que votre agressivité s’adresse à un religieux. J’ai toujours pensé qu’il était plus facile à un catholique religieux de comprendre un Juif croyant qui veut reconstruire le pays de ses ancêtres. Pourquoi ne faites-vous pas les reproches que vous m’avez faits aux socialistes israéliens. Je suis certain qu’ils vous entendraient.
Il est certain que l’État sioniste d’aujourd’hui ne ressemble pas en beaucoup de points à ce qu’ont rêvé les sionistes théoriques d’avant sa création. En allemand, on dit que rien ne peut être mangé aussi chaud que cuit, et vous pourrez admettre qu’on ne pouvait pas s’attendre à autre chose. Si l’Amérique a pris une grande influence, ce n’est certainement pas parce que les religieux et les ultrareligieux nationalistes ont poussé le pauvre petit État dans les bras de l’Amérique. C’est bel et bien l’URSS qui nous y a poussés. Et vous le savez certainement aussi bien que moi.
Mais vous pouvez être rassuré : l’esprit critique juif ne se laisse pas endormir à coup de capitaux et de fournitures d’armes. Aldous Huxley a dit quelque part que si quelqu’un veut combattre efficacement le fascisme, il est obligé d’introduire le fascisme chez lui : militariser, rationaliser, planifier, instituer des autorités, c’est ce qui nous arrive. Si les Russes ne soutenaient pas les régimes de colonels de nos voisins, nous pourrions nous dispenser de ce luxe. Maintenant, pour le socialisme. Vous oubliez que je vis au kibboutz et là, je suis persuadé (1) que nous menons une vie de pionniers (2) que le kibboutz peut effectivement être un exemple pour le monde nouveau qui est en train de construire. Je suis heureux de constater que malgré son infériorité numérique, le kibboutz représente encore quelque chose en Israël, et si vraiment, un jour, nous réalisons le rêve de paix (qui malheureusement me paraît encore lointain), le kibboutz sera susceptible d’exemple à la jeunesse du pays et lui évitera les dangers que fait courir aujourd’hui, au monde entier, la civilisation de l’abondance. Je sais que ce ne sera pas simple mais j’ai confiance et j’attends ce moment de toute mon âme
 ». 

Un froid surgit mais les liens de l’Abbé avec Israël restent intacts. Il y est encore très apprécié et, en 1970, il répond positivement à une invitation à s’y rendre de nouveau.

La position critique d’Alexandre Glasberg à l’égard d’Israël après la guerre des Six Jours s’accompagne d’une sympathie croissante pour les Arabes palestiniens. Après la guerre de 67 son cœur le conduisit vers les vaincus. Il devint un partisan inconditionnel de l’OLP. Pour autant, il n’a jamais rencontré des dirigeants de l’OLP. Il avait horreur de tout terrorisme et manifestait sa vive réprobation à l’égard des actes terroristes de part et d’autre. Il militait pour le dialogue et une cohabitation pacifique entre Arabes et Israéliens. Les sentiments de l’Abbé penchaient vers la Gauche conciliante et non vers le gouvernement actuel. Ces sentiments qu’on lui prête sont-ils en tous exacts ? 

Quel que soit le point de vue d’Alexandre Glasberg sur l’OLP, il est vrai que son désenchantement pour le chemin pris par Israël et son empathie croissante pour les Palestiniens étaient des aspects essentiels de son développement politique, même si ses liens avec Israël n’étaient pas complètement rompus. Il resta toute sa vie un homme de paix, de dialogue, défenseur du peuple Juif et solidaire avec ceux qui souffrent. En janvier 2004, Alexandre et Victor Glasberg ont reçu, à titre posthume, la médaille des Justes parmi les nations de l’Institut Yad Vashem, le Mémorial officiel d’Israël dédié aux victimes de la Shoah.

Un livre qui fourmille de détails historiques, d’encadrés, de cartes, de photos, d’une bonne bibliographie et une Annexe fournie, ainsi que des éléments sur Israël et le sauvetage des Juifs de première importance.

Patrice SABATER

 

[1] Seuls six évêques ont riposté publiquement face aux arrestations de Juifs à l’été 1942. Deux d’entre eux ont reçu la médaille des « Justes parmi les nations ».