Dans la Bible, la mobilité est une donnée familière, voire omniprésente, au point qu’elle pourrait passer inaperçue. Si cette étude n’est pas une thèse de théologie biblique, il est bon d’entendre d’emblée la consonance de la thématique avec les écrits bibliques. De plus, sans prétendre qu’il n’y ait pas d’autres approches possibles du droit à la mobilité, nous remarquons que c’est dans la Bible et dans l’expérience du peuple juif que se trouve exprimée, avec le plus de clarté et de profondeur, cette réalité. Non seulement il s’agit de la mobilité humaine, mais plus encore Dieu est un « Dieu qui passe ». C’est pourquoi il est important d’exposer cette expérience unique. Abraham et ses descendants sont désignés comme étant des « Hébreux », dont la racine sémantique signifie « passer, traverser».

Selon Thérèse Andrevon, « Abraham est celui qui est passé de l’autre côté du fleuve et les Hébreux sont des nomades qui passent d’un lieu à un autre ». Réalité symbolique, structurelle, « la notion de passage scande l’histoire du peuple juif ». L’auteur explicite les Ecritures qui l’incarnent particulièrement : ainsi, le passage du gué pour Jacob, aux prises avec un mystérieux adversaire, en Gn 32, 25 ; la traversée de la Mer des Joncs en Ex 14, 21-23 ; ou encore, le passage en Terre promise, en Josué 3, 15-17. La tradition juive enrichit ses passages d’une portée spirituelle : ils symbolisent le passage de l’idolâtrie au service de Dieu, de l’esclavage à la liberté. Ils ne sont pas seulement le fait des hommes ; Dieu lui-même « passe ». En Gn 15, 17,  Ce passage de Dieu répond à la Pâque qui est l’acte par lequel le peuple est invité à manger « les reins ceints, les sandales au pied, le bâton en main ». Le commentateur explique qu’il s’agit là de la « tenue de voyage ». La Pâque est un terme hébraïque aux origines inconnues. Elle désigne une fête dont la célébration remonte à la période pré-israélite. Elle est précisément la fête annuelle de pasteurs nomades.

La mobilité se présente dans les écrits bibliques sous la forme de figures variées : le migrant, le sédentaire qui doit accueillir l’étranger, l’exilé économique, le déporté qui est expulsé de son propre territoire par une puissance étrangère, le prophète itinérant, le membre d’une diaspora, l’apôtre de Jésus qui parcourt les routes de Galilée pour annoncer le Messie. Le Christ lui-même est figure de la mobilité. Né au cours d’un déplacement, il subit la fuite en Egypte dès son enfance. Toute sa vie publique a pris la forme de l’itinérance, « les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids mais le Fils de l’homme n’a pas de pierre où reposer sa tête». Sans épuiser la richesse des figures bibliques de la mobilité, une typologie simplifiée, duelle, permet de rendre compte des caractéristiques propres à la mobilité dans les écrits bibliques. Nous l’empruntons à Frédéric Fornos, qui distingue dans la Bible deux catégories de personnes : « les gens de route » et « les gens des maisons». Ainsi, il y a ceux qui accueillent et ceux qui sont accueillis. Les deux font une expérience commune essentielle, celle de l’hospitalité. Et c’est cette hospitalité qui constitue une expérience du Royaume. Cet arrière-fond invite à approfondir la figure paradigmatique du migrant, à travers celle d’Abraham (1), puis à relire différents récits, relatifs à l’accueil de l’étranger (2). Dans les deux cas, on remarque qu’il y a un impératif : soit celui de partir, soit celui d’accueillir. Cette alternative se retrouve dans le Nouveau Testament, où les disciples sont envoyés auprès de populations qui doivent les accueillir, sous peine de s’exclure du Royaume de Dieu.

Dans toute ville où vous entrerez et où l’on vous accueillera, mangez ce que l’on vous offrira, guérissez les malades qui s’y trouveront et dites-leur : le Royaume de Dieu s’est approché de vous.

L’accueil de l’étranger est l’expérience du Royaume de Dieu. Le refuser manifeste a contrario avoir manqué le Royaume.