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Jours tranquilles à Alger

21 août 2018 | resena
Jours tranquilles à Alger

Mélanie MATARESE et Adlène MEDDI

Père Patrice Sabater, cm

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L’Algérie fête cette année le cinquante-sixième anniversaire de son indépendance dans le mouvement du « Printemps arabe ». L’année 1962 a vu à la fois la fin de la guerre d’indépendance, l’effondrement de la domination coloniale française et la naissance de l’État algérien. Le regard que l’on porte sur son passé dépend beaucoup de l’endroit où l’on se place, de quel côté de la Méditerranée, au cœur de tel ou tel groupe porteur de mémoire… favorisant une lecture complexe de cette Algérie contemporaine. Les mémoires sont encore à vif après près de soixante années d’indépendance. Les deux journalistes d’El Watan Week-end (supplément hebdomadaire du quotidien francophone) Mélanie MATARESE et Adlène MEDDI, nous proposent aux Editions Riveneuve, à la fois une lecture de l’Algérie postindépendance et de celle des « années Bouteflika ». C’est une série de chroniques, allant de 2007 à 2016, qui aide à percevoir, de part et d’autre de la Méditerranée, l’histoire contemporaine de ce pays ainsi que la vie des Algériens en ce début du 21ème siècle.

« Alger la Blanche ! ». La lumière de sa baie et l’arrivée en bateau, magnifique et prenante. Alger si proche de la France et du grand port de Marseille où la « Bonne Mère » accueille tous les fils de la Méditerranée ! « Alger l’Africaine, l’Arabe, la Française, la Numide, la Byzantine, la Juive, la Kabyle, antique comptoir punique, Mecque des révolutionnaires, ville d’intrigues et de putschs, a aujourd’hui de nouveaux défis à relever. Plus que jamais c’est elle qui décide pour tout un pays. Face à la chute du prix du pétrole, à la menace terroriste aux frontières, aux exigences de sa société, elle devra trouver les ressources pour que non seulement, la paix soit préservée, mais que le pays s’affirme enfin comme puissance émergente.» (page 15)

L’Algérie est « à l’arrêt ». Elle est à l’image des immeubles fantômes qui ceinturent Alger, et dont la construction s’est arrêtée faute de liquidités, faute de beaucoup de choses. Un pays qui se débat entre modernité et poids des traditions. Un pays qui peine à effacer les violences d’hier, les « années de plomb » (1990). Néanmoins, malgré les aspérités et autres difficultés de l’Histoire, ce pays a une force d’attraction. Plus de 22.000 touristes de différentes nationalités ont visité Alger depuis début 2018, et découvert ce beau pays. Le gouvernement algérien préconise un futur touristique heureux. Néanmoins, il reste difficile d’obtenir un visa d’entrée en Algérie…

On dit que l’Algérie redresse la tête grâce au boom immobilier, surtout à Tlemcen ; et que cela est source d’avenir grâce aux Emirats arabes. Le Qatar est en bonne position. Cela est nouveau. Il y a une quinzaine d’années, ces pays n’étaient pas les bienvenus… On rêve et on fait rêver en faisant miroiter le fantasme des pays du Golfe. « Ouvrir de grands centres commerciaux, circonscrire l’alcool dans les grands hôtels et institutionnaliser le hadj et la omra comme principale activité touristique. De nombreux décideurs partagent le même rêve inavoué : faire de l’Algérie une société à l’image des monarchies du Golfe. Et ceux qui désapprouvent de voir se conclure année après année complexes sidérurgiques et projets immobiliers avec le Qatar grognent déjà dans leur barbe : "l’Algérie est déjà leur arrière-cour". (page 63) Il y a toujours un autre côté de la médaille !

Comment parler de l’Algérie autrement ? Comment en parler autrement qu’à travers son Président Abdelaziz Boutiflika, ancien Ministre des Affaires étrangères du défunt Président Houari Boumédienne. Le Président est malade, et l’Algérie retient son souffle. L’Algérie semble aussi malade que son Président célébrant son quatrième mandat présidentiel. Il existe pourtant une autre Algérie dans les grandes villes telles qu’Oran et Constantine « Capitale de la Culture arabe », dans les wilayas du sud (Sahara), et sur le pourtour méditerranéen. Il existe une autre Algérie énergique, jeune, débrouillarde et dynamique, intellectuelle, belle de sa terre et de son vignoble, riche de ses populations multiples. Les deux chroniqueurs évoquent les accidents de la route, les séismes, les apparatchiks (en deux volets), les violences islamistes, les manifestations, mais aussi les évènements internationaux. Ils parlent tout à la fois de « l’Affaire Merah », que des moines de Tibhirine, de Bachar El Assad, d’Al Jazeera, des Chinois…

Cet ouvrage sans fard se termine par deux notes d’espoir. La première est signée d’Adlène. Il se projette Cent ans après…, en 2062 ! « Ce matin, les Algérois sont partis très tôt à la mosquée. Près de Bal el Oued, les habitants ont entendu sonner les cloches de Notre Dame d’Afrique et les synagogues ont aussi accueilli les prières pour toute l’Algérie. La jeune Présidente de la République, une descendante de l’émir Abdelkader, a promis plus d’une semaine de fête pour célébrer le centenaire de l’Indépendance algérienne. Nous sommes le 5 juillet 2062 (…) Toujours à Alger, mais pas dans celle de mes rêves. Ce n’est pas grave, in fine, je devrai patienter» (pp 181-183). Mélanie, son épouse dans la vie, conclut le livre. Ses propos sont un peu en demie teinte entre espoir et résignation. « Si seulement scruter l’horizon pouvait apporter des réponses pour l’avenir (…) En tant qu’individus, nous avons-nous aussi, tour à tour aspiré au changement et cherché les raisons de ne pas en vouloir, regardé la vie politique et économique se paralyser tout en misant sur les forces créatrice de ce pays qui nourrit tant de légendes mais ne parvient pas à écrire sereinement sa propre histoire. Et c’est la nôtre, en Algérie, que nous avons tenté de raconter. Du haut de ce minaret en construction, je repense bizarrement à tous les gens que nous avons vus partir. Et à cette boutade d’un proche, dont l’histoire de la famille en Algérie, s’est écrite dans le sang et les larmes, qui lors d’un repas de départ d’amis expatriés et de l’inéluctable tristesse qui l’accompagnait, me lançait comme pour me réconforter : « Mais nous, nous sommes de ceux qui restent ». (page 187)

Au cœur de la Casbah d’Alger, dans les rues de Bab el Oued et dans les nombreuses wilayas algériennes, les forces créatrices permettront à ce pays de reprendre la marche de l’histoire et de voir venir des jours plus porteurs. Nous pouvons délicatement aider ce pays à se mettre en route. Les chroniques de Mélanie et d’Adlène nous y aident. Ce livre mérite d’être dans nos bagages. Quel beau pays l’Algérie !!!

 

Patrice SABATER, cm
Juillet 2018


Mélanie MATARESE et Adlène MEDDI
, Jours tranquilles à Alger. Editions Riveneuve. Paris 2016. 205 Pages. 15 €
 

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