DOMUNI UNIVERSITAS

Jours tranquilles à Jérusalem. Chroniques d’une création théâtrale « Des roses et du jasmin »

16 avril 2018 | resena
Jours tranquilles à Jérusalem. Chroniques d’une création théâtrale « Des roses et du jasmin »

Mohamed KACIMI (Préface d'Adel HAKIM)

Père Patrice Sabater, cm

Aller au livre

 

 

Jérusalem. Ville de la paix et lieu de création d’un pari un peu fou de deux hommes : Mohamed KACIMI – d’origine algérienne - et d’Adel HAKIM – d’origine égyptienne – qui est né d’un père égypto-libanais et d’une mère italienne. Entre février et juin 2015, ils collaborent à la création d’une pièce de théâtre « Des roses et du jasmin », dans les murs du Théâtre National Palestinien. « L’alliance de nos convictions et de nos visions, à Mohamed et à moi, la conjonction de nos forces pour nous lancer dans ce que nous savions être un combat, ont été déterminantes. Je ne crois pas du tout que, tout seul, j’aurais pu faire aboutir ce projet ». (Adel Hakim, page 7) C’est aussi l’alliance de deux origines confessionnelles, chrétienne et musulmane ; même si les deux hommes de théâtre avouent ne pas être des pratiquants à tout crin…

Mohamed KACIMI présente le texte d’Adel, « Des roses et du jasmin », comme « une fresque épique, portée par le souffle d’une tragédie grecque. Il balaie soixante ans de l’histoire tumultueuse de la création de l’Etat d’Israël et des drames du peuple palestinien… » (page 22) Les deux protagonistes font face à Jérusalem, non pas seulement à des problèmes artistiques essentiellement, mais surtout à une structure désorganisée, à des problèmes matériels, politiques, idéologiques, sécuritaires… Alors, bien naturellement, avec Mohamed et Adel, le lecteur est en droit de se poser les questions qui pointent : « Pourquoi avoir écrit cette pièce ? Quel en est le sens ? Quel est cet inconscient qui l’a générée ? » Le théâtre reste bien ce vecteur et ce faisceau par lesquels l’on peut dire et raconter les choses, les actes les plus difficiles, les plus tendus… Ce que le livre donne à penser au lecteur, le théâtre le donne à voir, à entendre, à imaginer et à sentir, en accompagnant la lettre et le geste. Théâtre des mots et théâtre de l’action publique pour raconter, pour expliquer (pages 16 et 17) la raison d’une telle pièce de théâtre. Si celle-ci est créée au Théâtre National Palestinien, à Jérusalem-Est, pour autant elle n’est pas montée par des auteurs Palestiniens ! En revanche, tous les comédiens sont Palestiniens. Elle suscite bien des commentaires : « C’est un réquisitoire contre Israël ! C’est trop direct ! Trop démonstratif ! Il faut être plus subtil, plus métaphorique, plus poétique, plus abstrait ! Tu ne peux pas raconter ça ! Ce n’est pas vrai !... ». A cela, il faut ajouter des dissensions au cœur du Conseil d’Administration du Théâtre entre Palestiniens, entre le dramaturge, le metteur en scène et les acteurs… La pièce de théâtre finit par être présentée au public. Elle aura, à Jérusalem comme en Europe, un succès certain.

Ce livre est une chronique au jour le jour, sans fards, entre exaltation et désillusion et découragement, tel que raconté par Mohamed KACIMI. Avec eux nous suivons l’actualité des jours… Au-delà même du thème de cette chronique, c’est la question de la place de la Culture en général, et de la possibilité de pouvoir se dire et se penser en Israël et au Proche-Orient en général qui est posé. C’est aussi de montrer avec quelle difficulté les protagonistes du conflit israélo-palestinien ont du mal à faire mémoire de leur histoire commune depuis 70 ans. Enfin, plus largement, le lecteur participe pas à pas concrètement aux difficultés de monter une pièce de théâtre sans beaucoup de moyens, et devant faire face à des vents contraires. Cinq ans après Antigone, marquant l’entrée du théâtre palestinien sur la scène internationale, Adel Hakim, Directeur des Quartiers d’Ivry et metteur en scène. « Des roses et du jasmin », est sa dernière pièce écrite et mise en scène. Elle a été présentée en janvier 2017, sur la scène du Centre dramatique national du Val-de-Marne, à Ivry-sur-Seine.

« Dans le paysage du théâtre français, agoraphobe, ethnocentrique, maniaco-dépressif à mort, Adel est un être à part. Un oiseau rare. Préférant le réel à la scène, les êtres aux personnages, la vie aux textes ; la main toujours sur le cœur, humaniste à fleur de peau, rêveur à la folie, il est né à la croisée de tant de cultures et de guerres », aime à souligner son ami KACIMI (page 36). Cet enfant de la Méditerranée, ancien élève des Jésuites, quitte Le Caire pour Beyrouth ; puis ce sera le départ de la France. Il fera ses débuts avec Ariane Mnouckine. La Préface est signée d’Avril 2017, soit quatre mois avant son décès… En effet, il meurt, à Ivry-sur-Seine, à 63 ans des suites d’une maladie dégénérative : la maladie de Charcot.

Un livre très intéressant, captivant, nous renseigne sur la société israélo-palestinienne et sur le conflit dans lequel elle est plongée depuis de très nombreuses années. Les difficultés mémorielles et de liberté d’expression sous-tendent ce texte limpide et prenant.

Patrice Sabater, cm
8 avril 2018

Mohamed KACIMI (Préface Adel HAKIM), Jours tranquilles à Jérusalem. Chroniques d’une création théâtrale « Des roses et du jasmin ». Riveneuve Editions. Paris 2017. 167 pages. 15 €

 

Aller au lien